Syndrome d'hypermobilité articulaire bénigne Cours de l'appareil locomoteur
Introduction
:
Le SHMAB est caractérisé par la survenue de manifestations
rhumatologiques chez des sujets dont la mobilité articulaire est exagérée, en
l’absence de toute maladie systémique démontrable ou de maladie définie du
collagène.
Sa définition fait appel à un ensemble de critères dont
les plus utilisés sont ceux de Carter, Wilkinson et Beighton.
Elle réalise une forme a minima d’une maladie du tissu conjonctif.
Ses
manifestations sont la plupart du temps modestes, limitées à des polyarthralgies.
La responsabilité du SHMAB dans l’accélération du
processus de vieillissement articulaire et l’arthrose reste un thème débattu.
Historique :
La première mention d’un SHMAB remonte au IVe siècle avant Jésus-Christ,
lorsque Hippocrate a rapporté la défaite des Scythes en Inde à leur hyperlaxité
articulaire, en particulier omohumérale, qui leur rendait difficile le combat au
javelot.
Cet inconvénient pouvait se transformer en avantage dans d’autres
situations, puisque leurs surprenantes qualités équestres ont été maintes fois
décrites.
Plus proche de nous, en 1831, une note médicale faisait état de la remarquable
flexibilité articulaire du célèbre violoniste Niccolo Paganini, qui pouvait jouer
trois octaves sans grande difficulté.
Plus récemment, le premier article reliant l’hypermobilité articulaire aux
polyarthralgies date de 1947, quand Sutro décrit, dans une revue
chirurgicale, trois jeunes adultes présentant des douleurs articulaires touchant
des genoux et des coudes hyperlaxes.
Il faut attendre 1967 pour que Kirk et Bywaters définissent « le syndrome
d’hypermobilité » dans un groupe de patients donné, présentant une
hypermobilité articulaire, en l’absence d’autres maladies rhumatologiques
systémiques reconnues.
Depuis, d’autres auteurs ont essayé plusieurs jeux de critères précis afin de
mieux cerner ce syndrome.
Définition et nosologie :
La reconnaissance rigoureuse et certaine de l’hypermobilité d’une
articulation donnée est difficile, car les critères de normalité sont difficiles à
établir.
La mobilité d’une articulation se distribue selon une courbe de Gauss.
C’est ainsi qu’il est raisonnable, mais cliniquement d’intérêt modeste, de
considérer comme hypermobile toute articulation dont les amplitudes
maximales dépassent de deux déviations standards les normes connues.
Le
nombre d’articulations hypermobiles des individus d’une population donnée
est distribué selon une loi géométrique.
L’hypermobilité d’un site
articulaire, dans ces conditions, n’est pas à elle seule prédictive de
l’hypermobilité d’autres articulations.
Le SHMAB est un syndrome disséminé, touchant donc plusieurs sites
articulaires (mais non nécessairement tous).
Carter etWilkinson ont établi
une première série de critères de l’hypermobilité articulaire, enrichie par
Beighton d’une localisation axiale.
Ces derniers critères sont
actuellement les plus utilisés.
D’autres auteurs ont établi des critères différant
plus ou moins de ceux de Beighton, jugés parfois imprécis.
C’est ainsi que
l’on peut trouver, dans la littérature, les scores : de Rotés tenant compte
des hanches, des épaules, du cou, des métatarsophalangiennes, des inflexions
latérales lombaires, outre les critères de Beighton ; de Bulbena, intégrant
l’épaule, la hanche, le genou, le pied, sans le critère rachidien ; d’Acasuso-Diaz, qui n’utilise que le côté non dominant, qui est le plus laxe.
Plusieurs affections (et, en dehors de toute pathologie, la grossesse au-delà du
quatrième mois) sont bien connues pour s’accompagner d’hypermobilité
articulaire.
Elles sont par définition absentes lors du SHMAB,
même si l’on admet la possibilité de véritables syndromes de chevauchement,
ce qui a conduit la British Society for Rheumatology à proposer des critères
complexes qui font de l’hypermobilité une constellation peu
spécifique, au carrefour de nombreuses pathologies.
Ces derniers critères
n’ont pas été validés, mais ils ont pour principal intérêt de faire considérer
l’hypermobilité articulaire comme une entité pathologique responsable de
polyarthralgies chroniques et non comme une curiosité d’examen clinique
aux conséquences variables.
Épidémiologie
:
Environ 80 % des femmes et 60 % des hommes ont au moins une articulation hypermobile parmi celles utilisées dans les critères de Beighton.
Si
l’on considère la fréquence générale du SHMAB dans la population, elle est
de 5 à 7%chez les Caucasiens.
Cette prévalence varie en fonction de différents facteurs.
– Ethnie : le SHMAB est constaté, par ordre de fréquence décroissante, chez
les Asiatiques, puis chez les Africains, puis chez les Caucasiens.
– Âge : leSHMABest commun chez l’enfant (près de la moitié des enfant de
moins de 10 ans) et difficile à considérer comme pathologique en tant que tel
avant l’adolescence.
La mobilité articulaire continue d’évoluer à l’âge adulte,
le SHMAB étant rare chez la femme après 45 ans et chez l’homme après
25 ans.
Les sites articulaires à perdre d’abord leur hypermobilité sont d’abord
ceux des mains, puis le rachis.
– Sexe : le SHMAB est plus fréquent chez la femme chez qui il persiste plus
longtemps dans la vie ;
– Activité : l’hypermobilité a été très étudiée chez les musiciens et les
sportifs, mais on ne sait, par une étude comparative, si la prévalence du
SHMAB est plus élevée dans ces populations, même s’il apparaît clair que
l’hypermobilité articulaire est un avantage pour l’exercice de certaines
activités.
Par exemple, lorsque l’on compare des groupes de musiciens entre
eux, les poignets et les pouces les plus mobiles sont ceux des flûtistes et des
violonistes, les moins mobiles ceux des trompettistes et des percussionnistes.
Il n’est pas établi si de telles constatations ont un caractère acquis (par
l’entraînement intensif) ou sont constitutionnelles.
Il semble, dans une étude
très raffinée, que l’hypermobilité d’un site articulaire pourrait exposer aux
arthropathies, dès lors que ce site n’est pas impliqué dans l’entraînement
quotidien.
Manifestations rhumatologiques
:
L’instabilité articulaire est associée à une large variété de symptômes
articulaires.
Il est bien rare qu’elle entraîne, par elle-même, une consultation
médicale.
Sur une population de patients consultant en rhumatologie, Grahame retrouvait 3,25 %de femmes répondant aux critères du SHMAB et
0,63 % d’hommes.
D’autres auteurs, en revanche, ont signalé des
fréquences cinq fois supérieures.
Les symptômes les plus intrigants sont des épisodes quotidiens de gêne
prolongée (douleurs, instabilité) d’une ou plusieurs articulations, ou des
épisodes aigus, douloureux, brefs, d’une ou plusieurs articulations.
L’association à un tableau pseudofibromyalgique pourrait concerner 30 %
des patients.
Les épanchements articulaires sont rares.
L’association d’une
main de Jaccoud à un SHMAB a été décrite.
Peuvent également être mis sur le compte d’un SHMAB : des tendinites, des
syndromes canalaires, un syndrome de la traversée thoraco-cervico-brachiale.
Les entorses à répétition, les luxations récidivantes (parfois favorisées par une
dysplasie associée) font aussi partie du tableau.
Des études arthroscopiques ont permis de mettre en évidence un dépôt d’hémosidérine
dans le tissu synovial, qui serait secondaire à des hémarthroses récurrentes,
ce qui semble en faveur de la responsabilité de l’hyperlaxité dans la genèse de
certaines polyarthralgies d’origine indéterminée, touchant des articulations
hyperutilisées et donc traumatisées.
L’arthrose est associée à l’hypermobilité ; elle pourrait en être une
conséquence directe, par travail exagéré de l’articulation sur des amplitudes
accrues, mettant en pression des surfaces inadaptées.
L’instabilité de
l’articulation est un facteur associé.
Un collagène anormal, enfin, pourrait être à l’origine à la fois de
l’hypermobilité et de l’arthrose.
Les dorsalgies bénignes, l’hyperlordose douloureuse, les scolioses, les
discopathies pourraient être une conséquence d’un SHMAB.
Les fractures
seraient plus fréquentes.
En cas de symptomatologie radiculaire, la discrétion
du syndrome rachidien et du signe de Lasègue sont à noter.
Le caractère
absolument non spécifique de tous ces signes incite naturellement à la
prudence pour rattacher à un SHMAB une pathologie rhumatologique.
Plusieurs études ont porté sur l’hyperlaxité chez l’enfant et l’adolescent :
Lewkonia a mis en évidence que l’hypermobilité articulaire était une cause
fréquente d’arthralgies chez les adolescents, plus que n’importe quelle forme
de rhumatisme inflammatoire ne peut l’être.
Manifestations extrarhumatologiques :
Elles sont absentes ou minimes dans la majorité des cas.
L’existence de
quelques cas sévères incite à les rechercher, même si leur appartenance au SHMAB est controversée.
– Peau et muscles : la peau peut être fine, douce, hyperextensible et striée.
Dans une étude, 58 %des patients ont déclaré s’être aperçus de changements
cutanés.
Les paupières peuvent être tombantes.
La faiblesse de la paroi
abdominale est souvent associée à ce syndrome, avec l’existence de hernie et
de prolapsus utérin.
– Coeur : plusieurs études ont mis en évidence une augmentation de
l’incidence du prolapsus de la valve mitrale.
Cette association reste
discutée, infirmée par une étude récente cas-témoins.
Le doute persiste
cependant et l’auscultation cardiaque à la recherche d’un click mésosystolique, comme l’échocardiographie, paraissent licites, à plus forte
raison en cas de pratique sportive.
– Autres manifestations : on a décrit également la fréquence accrue de
varices, d’hémorroïdes, de pneumothorax, d’asthme, de troubles oculaires
(strabisme, myopie).
Les troubles psychiques phobiques ou somatomorphes
pourraient être également plus fréquents.
Physiopathologie
:
Très peu d’études ont été consacrées à l’analyse structurale du collagène des
sujets hyperlaxes, en dehors du syndrome d’Ehlers-Danlos.
Il semble qu’il
existe un déséquilibre entre la production de plusieurs types de collagène
(dont il existe près de 20 types), en particulier un excès de type III par rapport
au type I.
Cette anomalie pourrait entraîner une désorganisation de la
régulation du feutrage collagène de la peau, des tendons, mais aussi des valves
cardiaques.
Le caractère héréditaire du syndrome est probable, le mode de transmission
restant à déterminer.
On ne sait si la prédominance féminine est de cause
génétique (liaison à l’X) ou si les hormones sexuelles ont un rôle à jouer, en
particulier dans la biosynthèse du collagène.
Parce qu’elles sont hypermobiles, les articulations sont davantage exposées
lors du SHMAB.
Cependant, les anomalies associées du développement
squelettique (dysplasies), plaidant elles-mêmes pour une cause génétique,
expliquent parfois l’hypermobilité.
L’arthrose, peut-être plus fréquente au
cours du SHMAB, serait de la même façon due à des traumatismes répétés
sur un cartilage anormal.
Traitement
:
En l’absence de traitement étiologique, les mesures thérapeutiques sont
limitées à une prise en charge logique : repos, orthèses lors de traumatismes ;
physiothérapie centrée sur un travail musculaire.
La chondroprotection n’est
pas évaluée dans cette indication de risque arthrosique.
En cas de décision
chirurgicale, la prudence s’impose en raison des risques postopératoires
augmentés : complications cutanées et vasculaires, avec des retards de
cicatrisation et des cicatrices dystrophiques.
Le SHMAB est une affection qui reste généralement bénigne.
La
réalisation d’une échographie cardiaque reste la seule exploration
pratique à réaliser chez un patient inquiet.
Les progrès de la biologie
permettront sans doute un démembrement de ce syndrome aux limites
encore imprécises.