Prévention des accidents vasculaires cérébraux
(Suite)
Cours de Neurologie
B - PRÉVENTION DES ACCIDENTS ISCHÉMIQUES
LIÉS AUX MALADIES DES PETITES ARTÈRES
CÉRÉBRALES :
Les maladies chroniques des petites artères cérébrales, responsables
de 20 à 30 % des AVC, constituent un groupe hétérogène d’affections
caractérisées par une anomalie de la paroi des petites artères et des
artérioles cérébrales.
Elles exposent toutes au triple risque
d’infarctus cérébral, d’hémorragie cérébrale, et de démence, mais
leur présentation clinique varie selon la topographie des artères
impliquées et la nature de la lésion de la paroi artérielle.
Schématiquement, on peut distinguer les maladies des artères
perforantes sous-corticales qui s’accompagnent de petits infarctus
profonds de type lacunaire, d’hémorragies profondes, de leucoencéphalopathie
et d’une démence sous-corticale et les maladies qui
intéressent des artères corticales et leptoméningées qui se traduisent
essentiellement par de petits infarctus ou des hémorragies
corticales/sous-corticales.
Cette distinction, utile en pratique pour
orienter le diagnostic étiologique (et peut-être un jour le traitement),
est cependant très schématique car certaines affections intéressent
l’ensemble des petites artères du cerveau.
Parmi les maladies des artères perforantes, la variété la plus
fréquente est l’artériolosclérose, qui survient inévitablement avec
l’âge, mais qui est plus précoce et plus sévère en présence de
facteurs de risque vasculaire tels que l’hypertension artérielle et le
diabète.
Elle est essentiellement responsable de lacunes uniques ou
multiples et n’évolue que rarement vers le syndrome
pseudobulbaire, la leucoencéphalopathie et la démence souscorticale
de la maladie de Binswanger.
La seconde variété, le plus
souvent autosomique dominante mais parfois sporadique, est CADASIL (cerebral autosomal dominant arteriopathy with subcortical
infarcts and leukoencephalopathy), affection de l’âge moyen de la vie
caractérisée par des infarctus sous-corticaux récidivants, des crises
de migraine avec aura, des troubles thymiques, une démence souscorticale
et une leucoencéphalopathie.
Elle évolue vers la mort en
une vingtaine d’années et elle est due à des mutations du gène Notch 3 responsable d’une altération majeure des cellules
musculaires lisses de la paroi des petites artères.
Parmi les affections des petites artères corticales et leptoméningées,
la variété la plus fréquente est l’angiopathie amyloïde, affection le
plus souvent sporadique du sujet âgé, mais parfois familiale,
caractérisée par une infiltration amyloïde de la paroi des petites
artères.
Elle est essentiellement responsable d’hémorragies corticales
récidivantes, plus rarement d’infarctus et parfois d’une démence
souvent en rapport avec une leucoencéphalopathie due à l’atteinte
associée à des artères perforantes sous-corticales.
D’autres maladies des petites artères, sporadiques ou familiales, ont
été identifiées au sein de ce groupe en plein démembrement.
Malgré
leur fréquence, les maladies des petites artères cérébrales ne sont
pas reconnues en tant que telles dans les classifications AIC et, a
fortiori, dans les essais thérapeutiques.
Ce qui est individualisé c’est
un groupe dit de « lacunes », bien qu’il n’y ait pas de définition
unanimement admise des lacunes et bien que celles-ci ne relèvent
pas exclusivement des maladies des petites artères (athérosclérose
et embolies d’origine cardiaque peuvent parfois être responsables
de lacunes).
De nombreuses études ont été consacrées au pronostic des lacunes
au sens de petits (< 1,5 cm) infarctus profonds se traduisant par l’un
des cinq syndromes suivants : « hémiplégie motrice pure », « attaque
sensitive pure », « attaque sensitivomotrice », « hémiparésie
ataxique » et « dysarthrie-main malhabile ».
Elles
s’accordent à conclure que le pronostic immédiat et à court terme
est favorable au plan vital et fonctionnel, mais que le pronostic au
long cours est défavorable, avec un risque de nouvel AVC de 5 %
par an et un risque de démence de plus de 10 % à 3 ans.
Malgré cette abondante littérature sur le pronostic des lacunes,
aucun essai thérapeutique n’a, à ce jour, été spécifiquement consacré
à leur prévention primaire ou secondaire : les patients ayant ce type
d’infarctus ont été inclus dans les grands essais de prévention
secondaire.
Ils représentent ainsi 40 % de patients inclus dans CAPRIE et 55 % de ceux inclus dans WARSS.
En attendant
d’éventuelles études spécifiques, la prévention des lacunes est
calquée sur celle des AICLA : dépistage et traitement des facteurs
de risque, notamment hypertension et diabète et administration
d’antiplaquettaires.
Les anticoagulants sont particulièrement contreindiqués
en raison du risque accru d’hémorragie cérébrale.
C - PRÉVENTION DES EMBOLIES CÉRÉBRALES
D’ORIGNE CARDIAQUE
:
Les séries cliniques convergent pour rattacher à une cause cardioembolique
17 à 46 % des AIC.
La reconnaissance d’une
source cardiaque potentielle d’embolie cérébrale est essentielle en
raison des implications pronostiques et thérapeutiques qui en
découlent : le pronostic est globalement plus sévère à court terme
(caillot fibrinocruorique venant occlure des artères souvent de gros
calibre comme les artères cérébrales moyenne ou postérieure) et à
long terme en raison du risque élevé de récidives et de la
morbi/mortalité cardiaque propre.
Au plan thérapeutique, la
prévention repose sur le traitement spécifique de la cardiopathie
causale lorsqu’il est possible (par exemple : ablation d’un myxome)
et sur le traitement antithrombotique, le plus souvent les
anticoagulants oraux dont la supériorité par rapport aux
antiplaquettaires est largement démontrée dans cette indication.
Le
diagnostic formel d’AIC cardioembolique est cependant souvent
difficile à porter, en l’absence de critères cliniques fiables et validés,
ainsi que du fait des associations fréquentes, tant des sources
cardiaques elles-mêmes (par exemple fibrillation auriculaire et
athérome aortique, fibrillation auriculaire et calcifications annulaires
mitrales) que la possibilité fréquente de trouver plusieurs
localisations de l’athérosclérose (par exemple carotide et aortique).
Les techniques d’investigations ultrasonores (échocardiographie transoesophagienne [ETO] avec épreuve de contraste en particulier)
et les progrès de l’imagerie radiologique (scanner thoracique,
imagerie par résonance magnétique [IRM]) ont contribué à mieux
préciser les sources potentielles, et à identifier de « nouvelles »
sources d’embolie d’origine cardiaque ou vasculaire.
Du fait de cette difficulté fréquente à établir un lien d’imputabilité
entre AIC et cardiopathie, il est commode de classer les sources
cardiaques d’embolie en fonction du risque emboligène, en se basant
sur la force du lien d’imputabilité et en considérant séparément les
sujets âgés de moins de 45 ans et ceux âgés de plus de 55 ans.
Une autre classification peut être proposée, fondée sur les données
les plus récentes concernant la morphologie des sources potentielles
par ETO et l’histoire naturelle de ces anomalies cardiaques et
aortiques.
Ainsi, les sources cardiaques majeures d’embolie
sont associées à un risque élevé d’embolie artérielle,
d’AIC et d’événements cardiovasculaires de tous types et les sources
mineures correspondent aux cardiopathies jusque-là classées comme
à risque faible à modéré et/ou à risque indéterminé.
1- Fibrillation auriculaire
:
La fibrillation auriculaire (FA) constitue la première cause d’AIC
cardioembolique, responsable d’environ 50 % des cas.
Dans
70 % des cas, il s’agit d’une FA valvulaire et dans 10 %, d’une FA
isolée.
La fréquence de la FA est élevée et augmente avec l’âge : 2 à
4 % après 60 ans, 10 % après 75 ans.
Elle est probablement sousestimée
en raison du caractère souvent asymptomatique de la FA.
Plusieurs études prospectives randomisées ont été consacrées aux antithrombotiques dans la prévention primaire et secondaire des
AIC dans la FANV.
Toutes ces études ont montré la
supériorité des anticoagulants oraux, en l’occurence la warfarine
(coumadine) sur le placebo et sur l’aspirine. En prévention primaire,
la réduction du risque relatif sous warfarine est de 62 % (IC : 95 %
[48-72 %]) et du risque absolu de 2,7 % par an, alors que, sous
aspirine, le risque relatif est réduit de 22 % (IC : 95 % [2-38 %]) et le
risque absolu de 1,5 %.
La réduction de risque de la warfarine par
rapport à l’aspirine est de 36 %.
Le risque d’AIC global lié à la fibrillation auriculaire qu’elle soit
chronique ou paroxystique est de l’ordre de 5 % par an.
Cependant,
les modalités de prescription du traitement anticoagulant et de
l’aspirine dépendent de la prise en compte des facteurs cliniques et échocardiographiques, qui permettent de stratifier le risque
embolique en faible (près de 1 % par an), intermédiaire (2 à 4 % par
an) ou élevé (> 6 % par an).
Les facteurs suivants augmentent le
risque embolique : sexe féminin, âge supérieur à 75 ans, diabète,
antécédents d’insuffisance cardiaque congestive, antécédents
d’hypertension artérielle, antécédents thromboemboliques artériels,
dilatation et réduction de la fonction contractile de l’auricule gauche,
présence d’un contraste spontané ou d’un thrombus dans l’auricule
ou l’oreille gauche et présence d’un athérome aortique protrusif égal
à 4 mm dans l’aorte thoracique.
Les patients
présentant au moins un de ces facteurs de risque cliniques et/ou
échographiques sont candidats à un traitement anticoagulant au
long cours alors que ceux qui n’ont aucun de ces facteurs ne
justifient qu’un traitement par aspirine, voire aucun traitement.
Parallèlement à cette stratification, selon le risque
embolique, doit être effectuée une évaluation du risque
hémorragique inhérent à la prise d’anticoagulants et c’est en
fonction du rapport bénéfice/risque qu’est choisi, pour chaque
patient, et en tenant compte de ses préférences, le traitement antithrombotique préventif optimal.
Dans la FANV en prévention secondaire, l’étude EAFT a montré
que le risque de récidive d’AIC était élevé : 12 % par an, et que le
bénéfice des anticoagulants était majeur avec une réduction du
risque absolu de 8,4 % par an, bien supérieur à celui de l’aspirine
(2,5 % par an).
L’indication des anticoagulants oraux est donc très
forte mais elle doit, à nouveau, tenir compte du risque hémorragique
plus marqué qu’en prévention primaire du fait des séquelles du
premier AIC : risque de chutes, mauvaise compréhension des
consignes du traitement, troubles mnésiques etc.
Le risque embolique en cas de FA associée à une valvulopathie
rhumatismale est considérable, multiplié par 17 à 18 par rapport à la population générale.
L’anticoagulation au long cours y est
donc justifiée en dépit de l’absence d’études randomisées.
Dans le cas particulier des cardioversions, un traitement
anticoagulant est préconisé avec un INR cible de 2,5, 3 semaines
avant et 4 semaines après cardioversion, même si la FA est récente
(< 48 heures).
Le même schéma s’applique à la cardioversion pour
flutter auriculaire.
2- Thrombose de l’oreillette ou de l’auricule gauches
:
La détection d’un thrombus dans l’oreillette gauche (OG) ou dans
l’auricule (six fois plus fréquente) constitue une indication aux
anticoagulants, au moins pendant une certaine période, en fonction
de la disparition ou non des facteurs favorisants.
Le traitement fait
régresser ou disparaître le thrombus dans plus de trois quarts des
cas dans les 2 mois.
Ainsi, dans la série de Jaber, le thrombus
avait disparu sur le contrôle ETO dans 80,1 % des cas après 47 ± 18
jours de traitement et dans la série de Corrado dans 81,8 % après
4 semaines.
La durée du traitement dépend ensuite de la
cardiopathie sous-jacente, en particulier de la persistance d’une
dilatation de l’OG et/ou d’une dysfonction auriculaire gauche : en
cas de FA, le traitement est poursuivi à vie ; en cas de dilatation
isolée de l’OG, un traitement anticoagulant au long cours paraît
également raisonnable, bien que non évalué dans les études
randomisées.
3- Thrombus et dysfonction ventriculaires gauches
:
Un infarctus cérébral se produit dans 2 à 4% des infarctus du
myocarde, notamment lorsque l’infarctus est antérieur et associé à
une thrombose ventriculaire gauche.
Celle-ci est habituellement
précoce expliquant que le risque embolique soit élevé dans les trois
premiers mois et maximal durant le premier mois, en particulier
lorsque le thrombus est mobile, pédiculé ou volumineux.
La
présence d’un thrombus multiplie le risque embolique par cinq.
Entre 7 et 20 % des thrombus ventriculaires gauches sont
responsables d’une embolie systémique, ce chiffre atteignant 50 %
en cas de thrombus protrusif et mobile.
Dans les cardiopathies non ischémiques, la fréquence de la
thrombose ventriculaire gauche est également élevée, notamment
lorsque la fraction d’éjection ventriculaire est inférieure à 45 % avec
un risque embolique de 1,4 à 12 % par an.
Dans la thrombose ventriculaire gauche, en particulier à la phase
aiguë de l’infarctus du myocarde, la disparition du thrombus est
obtenue dans plus d’un cas sur deux après 1 mois de traitement
anticoagulant, dans 81 % à 1 mois dans la série de Mooe,
dans 55,6 % à 3 mois (± 1 semaine) et dans 88,9 % à 6 mois (± 1
semaine) dans la série de Kontny.
La durée du traitement
anticoagulant n’est pas codifiée, déterminée par les antécédents
cliniques et la morphologie ventriculaire gauche (fraction d’éjection
ventriculaire gauche, antécédents d’arythmies ou thromboemboliques,
anévrisme...).
Un traitement prolongé est indiqué chez
les patients ayant une dysfonction ventriculaire gauche sévère avec
fraction d’éjection inférieure à 45 % bien que l’efficacité n’ait pas été
établie de façon formelle.
Dans la dysfonction ventriculaire gauche sans thrombose, il n’existe
pas d’études contrôlées, mais seulement des études ouvertes faisant
état du bénéfice des anticoagulants, et aussi, quoiqu’à un moindre
degré, de l’aspirine.
L’indication des anticoagulants est bien
établie en cas de FA associée, de thrombus ventriculaire gauche
récent et d’antécédent thromboembolique.
Elle est proposée, même
en rythme sinusal, si la fraction d’éjection ventriculaire gauche est
supérieure à 35 %.
Dans tous les autres cas, le choix de
l’antithrombotique est adapté cas par cas, déterminé par la prise en
compte des risques embolique et hémorragique.
4- Tumeurs cardiaques
:
Les tumeurs intracardiaques sont rares (0,0017 à 0,33 % des
autopsies) ; elles sont bénignes dans 75 à 80 % des cas, dominées
par les myxomes (50 % des cas) puis par les fibroélastomes, lipomes
et rhabdomyomes.
Elles peuvent être asymptomatiques ou se
manifester par la triade : obstruction valvulaire, embolies et signes
généraux.
L’ETO précise leur localisation et leur morphologie afin
d’orienter la prise en charge thérapeutique.
Les tumeurs de l’oreillette gauche, myxomes le plus souvent,
relèvent d’un traitement chirurgical, a fortiori s’il y a eu un premier
accident embolique. Il n’y a pas lieu d’instaurer de traitement
anticoagulant au décours, sauf en cas d’apparition d’une arythmie
auriculaire.
Pour les tumeurs valvulaires, le plus souvent des fibroélastomes
papillaires, l’indication opératoire varie selon leur taille, leur
localisation, leur mobilité et leur caractère symptomatique.
Les petits fibroélastomes du coeur gauche non pédiculés (non mobiles)
bénéficient habituellement d’une simple surveillance.
Ceux qui
atteignent ou dépassent 10 mm doivent faire envisager l’excision
chirurgicale, surtout s’ils sont mobiles, associés à une cardiopathie
préexistante, ou présents chez un sujet jeune à faible risque
opératoire et à haut risque d’accident embolique.
Lorsque le fibroélastome s’insère sur l’endocarde valvulaire aortique ou mitral,
son excision est habituellement possible en conservant la valve, en
l’absence d’atteinte valvulaire associée.
5- Prothèses valvulaires
:
Le risque thromboembolique débute dès la période périopératoire
et se poursuit indéfiniment.
Il dépend du type de la prothèse
(mécanique ou bioprothèse), de la taille de l’OG, de la fonction
ventriculaire gauche et de la qualité du suivi du traitement
anticoagulant.
Le taux d’embolies cérébrales varie de 0,8 à 3 % par
an en fonction de ces différents paramètres.
La prévention des
embolies cérébrales repose sur le traitement anticoagulant par voie
orale qui est impératif et à vie avec un INR entre 2 et 3, voire entre
2,5 et 3,5 si le risque embolique est particulièrement élevé), dans
les prothèses valvulaires mécaniques, associés à l’aspirine s’il y a un
autre facteur de risque thrombotique ou un antécédent d’embolie
artérielle, et quel que soit le type de prothèse, en cas de FA associée
ou d’épisode d’embolie artérielle.
En revanche, une bioprothèse en rythme sinusal, sans autre facteur
de risque, relève d’un traitement antiplaquettaire au long cours
après 3 mois de traitement anticoagulant par voie orale.
6- Végétations infectieuses
:
L’endocardite explique 3 % des accidents emboliques, dont deux
tiers sont des embolies cérébrales.
La fréquence des AVC (infarctus
beaucoup plus souvent qu’hémorragies) est de 15 à 20 % dans les
endocardites.
Les embolies surviennent essentiellement lorsqu’existent des végétations de taille de plus de 10 mm et
mobiles, en cas de localisation valvulaire aortique, de
régurgitation valvulaire sévère, ou de la présence d’un abcès
annulaire ou valvulaire.
Il n’y a pas d’études randomisées permettant d’établir que le
traitement médical des végétations valvulaires réduit le risque,
même s’il est habituellement proposé un remplacement valvulaire
en cas d’événement embolique artériel symptomatique en présence
d’une végétation valvulaire.
Ces données empiriques ne reposent
que sur des études de cohortes pour lesquelles les indications
opératoires ont été souvent retenues sur des critères composites, en
particulier une instabilité hémodynamique et des signes
d’insuffisance cardiaque congestive, en dehors de la présence de la
seule embolie artérielle.
De plus, la détection d’embolies artérielles
asymptomatiques n’a pas été prise en compte sauf dans le travail de
l’équipe marseillaise.
Il semble cependant raisonnable de
proposer un geste chirurgical prophylactique chez les patients ayant
des végétations valvulaires de plus de 10 mm et très mobiles.
Les endocardites sur prothèses comportent un risque embolique
majeur de l’ordre de 40 à 50 %. Le risque de dysfonction de prothèse
est également majoré, expliquant la fréquence de l’indication opératoire.
La poursuite du traitement anticoagulant est justifiée
chez les patients porteurs de prothèses mécaniques et en cas de
fibrillation auriculaire, malgré le risque d’interférence
médicamenteuse avec les antibiotiques et d’hémorragie cérébrale, en
particulier rupture d’anévrisme.
7- Athérome aortique
:
Des études anatomiques, cas-témoins ou de suivi prospectif de
patients de plus de 60 ans ayant eu un infarctus cérébral ont établi
que la présence d’un athérome protrusif (plaques de plus de 3 à
5 mm) de la crosse aortique et de l’aorte ascendante, ou de plaques
anatomiquement ulcérées était associée à un risque d’infarctus
cérébral multiplié par un facteur de 3 à 9.
Le risque
est encore plus élevé en cas de plaque à la fois protrusive et ulcérée
(RR : 15,8), ou de plaque « jeune » sans calcification.
Dans
l’étude française FAPS, le risque de récidive d’infarctus cérébral
était de 11,9 % par an, c’est-à-dire du même ordre que celui des
sténoses carotides symptomatiques supérieures à 70 % ou des FA
ayant déjà entraîné un AIC.
De plus, l’athérome aortique protrusif
augmente le risque d’embolie artérielle périphérique et le risque
global d’événement cardiovasculaire, celui-ci atteignant 26 % par
an.
L’athérome aortique est donc une pathologie qui confère un risque
vasculaire élevé et devrait, de ce fait, constituer une cible privilégiée
pour la prévention.
Elle n’a toutefois été à ce jour l’objet d’aucune
étude prospective randomisée.
Il semble, en tout cas, que
l’endartérectomie prophylactique ne réduise pas le risque d’AIC et
s’accompagne même d’une augmentation du risque d’AVC dans la
période postopératoire immédiate.
Quant aux anticoagulants, ils
ont donné lieu à des résultats très contradictoires : augmentation du
risque d’événements vasculaires pour certains, pas de bénéfice
pour d’autres et diminution du risque pour d’autres,
notamment en cas de thrombus mobile (RR : 7 sous aspirine versus warfarine) ou en cas d’association FA et athérome protrusif égal
à 4mm.
Dans cette dernière situation clinique, la warfarine, avec
un INR entre 2 et 3, est supérieure à une association de warfarine à
dose fixe et d’aspirine.
Compte tenu de ces résultats divergents, il
n’est pas possible de proposer une attitude préventive codifiée : la
présence d’un thormbus aortique mobile reste une indication
raisonnable au traitement anticoagulant initial jusqu’à disparition de
cet élément mobile, relayé par un traitement antiagrégant
plaquettaire.
Cette attitude empirique doit être confirmée par des
études prospectives, et surtout confrontée aux données d’histoire
naturelle, qui restent encore peu disponibles.
L’influence d’un traitement par statine, évoquée par plusieurs
auteurs, n’a pas encore été établie.
Il est en effet tentant d’imaginer
qu’une partie de la réduction du risque d’événements vasculaires
chez les patients ayant un infarctus cérébral traité par statine
pourrait être liée à une réduction du risque d’infarctus cérébral ou
d’événements vasculaires en rapport avec la présence d’un athérome
aortique protrusif.
Ces données ont été suggérées par un travail non
publié du groupe de New York qui rapporte une réduction du
risque d’événement vasculaire chez des patients sous statine, mais il
s’agit, là encore, d’une étude rétrospective, avec un suivi disponible
pour moins d’un tiers des patients.
8- Pathologie de la cloison interauriculaire :
La pathologie de la cloison interauriculaire (ou du septum) regroupe
l’anévrisme du septum interauriculaire (ASIA) dont la fréquence est
de l’ordre de 2 % dans la population générale et le foramen ovale
perméable (FOP), dont la fréquence est de l’ordre de 25 %, variant
cependant en fonction de la technique de détection utilisée et des
modalités de quantification du shunt (doppler couleur, épreuve de
contraste lors d’une échocardiographie transthoracique ou
transoesophagienne).
Dans deux tiers des cas, l’ASIA est associée à
un FOP.
De nombreuses études cas-témoins ont montré que la
fréquence de ces deux anomalies était significativement plus élevée
chez les patients ayant eu un AIC que chez les témoins.
Elles ont
fait l’objet d’une méta-analyse récente qui a conclu à un oddsratio
(OR de 1,83 [1,25-2,66] pour le FOP, de 2,35 [1,46-3,77] pour
l’ASIA et de 4,96 [2,37-10,39]) pour l’association.
L’association est
encore plus forte dans le sous-groupe des sujets de moins de 55 ans
avec des OR de 3,1 (2,29-4,21) pour le FOP, 6,14 (2,47-15,22) pour
l’ASIA et 15,59 (2,83-85,87) pour l’association des deux.
Dans l’étude FOP/ASIA consacrée à des patients de 18 à 55 ans ayant eu un
AIC de cause inconnue, traités par aspirine (300 mg/j) et suivis
pendant 4 ans, le risque de récidive d’AIC était identique chez les
patients sans anomalie septale (4,2 %) et chez ceux porteurs d’un
FOP isolé : 2,3 % (0,3-4,3).
En revanche, il était significativement
augmenté chez ceux qui avaient l’association FOP + ASIA (15,2 %).
Seuls 10 patients avaient un ASIA isolé, et aucun n’a eu de récidive.
Les résultats de cette étude, globalement concordants avec la métaanalyse
des études antérieures, montrent que les sujets ayant un FOP
isolé ont un risque très faible de récidive d’AIC (0,5 % par an),
identique ou même légèrement inférieur à celui des patients avec
septum normal mais qu’en revanche, ceux qui ont l’association FOP
+ ASIA gardent un risque de récidive d’environ 4 % par an malgré
l’aspirine.
Il n’existe actuellement aucune étude randomisée consacrée à la
prévention secondaire des AIC dans les anomalies du septum.
Si le
faible risque lié au FOP isolé constaté dans l’étude FOP/ASIA se
confirme, il n’y a aucune justification scientifique à la fermeture du
FOP, qu’elle soit endovasculaire, percutanée ou chirurgicale.
Il semble raisonnable de laisser ces patients sous aspirine sauf
dans les cas rares de thrombose veineuse ou d’embolie pulmonaire
associées, indication formelle des anticoagulants et indication
possible d’une fermeture du FOP pour éviter une nouvelle embolie
paradoxale.
L’association d’un FOP et d’un ASIA, avec son risque annuel de
4 %, incite à un traitement plus énergique que l’aspirine seule, mais
des études prospectives randomisées sont nécessaires pour comparer
le rapport bénéfice/risque au long cours des anticoagulants oraux
et des diverses méthodes invasives de traitement de la pathologie
du septum.
Il serait souhaitable d’intégrer, dans ces études, une
analyse de la vulnérabilité auriculaire, plus fréquente en cas de
présence d’une pathologie du septum qu’en son absence et facteur
d’augmentation du risque ischémique.
9- Autres sources cardiaques potentielles d’embolies
cérébrales
:
Les calcifications annulaires mitrales confèrent un risque accru
d’AIC, allant jusqu’à un risque relatif de 4 dans l’étude BAATAF.
Toutefois, ces calcifications observées surtout chez les sujets âgés
(femmes notamment) hypertendus ou diabétiques sont le témoin
d’une athérosclérose diffuse et sévère intéressant notamment la
carotide et expliquant l’augmentation de risque observée.
Elles
ne constituent pas une cause spécifique d’embolies cérébrales mais
doivent inciter à un traitement préventif particulièrement énergique
des complications de l’athérosclérose (voir supra AICLA).
En cas
d’association à une FA, à une valvulopathie mitrale ou à un
thrombus intracardiaque, les anticoagulants sont indiqués.
Les filaments valvulaires, ou « strands » ou « excroissances de
Lambl » sont plus fréquents dans des études cas-témoins chez des
patients ayant une embolie artérielle que chez des témoins avec un
risque relatif de 4.
Toutefois, les études de suivi n’ont pas montré
d’augmentation du risque de récidive d’AIC.
Il n’y a donc pas
lieu de privilégier les anticoagulants par rapport à l’aspirine, sauf
en cas de pathologies associées à haut risque embolique, telles que
les prothèses valvulaires, en particulier dans la période
postopératoire immédiate.
10- Prévention des accidents ischémiques cérébraux
par embolie d’origine cardiaque
:
Elle repose sur le traitement spécifique de la cardiopathie causale
lorsque celui-ci existe et sur le traitement anticoagulant à chaque
fois que le bénéfice escompté sur le risque embolique est inférieur au risque hémorragique.
Si le rapport bénéfice/risque est
défavorable, l’aspirine est indiquée bien que son efficacité préventive
soit considérablement moindre que celle des anticoagulants.
De
nombreuses inconnues persistent encore dans certaines sources
d’embolies (FOP, ASIA, athérome aortique) qui devraient être levées
par les études actuellement en cours.
Faisabilité de la prévention
:
L’analyse de la littérature montre donc qu’il existe des mesures très
efficaces de prévention. Le problème essentiel qui se
pose alors est celui de l’application des résultats des essais
randomisés en pratique quotidienne.
De nombreuses études montrent que le contrôle des facteurs de
risque et la prise d’antithrombotiques sont notoirement insuffisants.
Ainsi, pour le facteur majeur qu’est l’HTA, il est montré que 35 %
des hypertendus ignorent qu’ils sont hypertendus, et que parmi
ceux qui se savent hypertendus, la moitié n’est pas traitée de sorte
que seulement 21 % des hypertendus aux États-Unis sont traités de
façon optimale.
La situation est identique en ce qui concerne la prise
d’anticoagulants chez les sujets en FA ou même la prise d’aspirine
en prévention secondaire et l’ensemble des autres mesures
préventives, à l’exception probablement de l’endartérectomie
carotide chez les femmes porteuses d’une sténose asymptomatique
dont la fréquence élevée laisse à penser qu’elle est utilisée par excès.
Conclusion
:
Il existe pour la prévention des AVC un ensemble de mesures efficaces
qui ont fait l’objet de nombreuses recommandations tant européennes
qu’américaines et qui concernent à la fois la prévention de masse et la
prévention ciblée.
Malheureusement, l’application de ces mesures
demeure dramatiquement insuffisante, faute d’incitation forte de la part
des décideurs en matière de santé publique, de communication
suffisante de la part des responsables de la santé et d’une habituelle
prise en compte des opinions et du choix du patient, opinion et choix
qui ne peuvent être pertinents que si le patient lui-même a reçu une
information éclairée et objective.