La pancréatite aiguë est évoquée
devant un syndrome douloureux abdominal dont on dit qu’il est
«cliniquement compatible» avec le diagnostic, associé à une
augmentation de l’amylasémie. C’est dire que le diagnostic de
pancréatite aiguë rassemble des situations pathologiques dont
l’évolution est très variable. Trois fois sur quatre il s’agit
de pancréatites bénignes qui évoluent vers la guérison sans
complications ou séquelles. Les autres malades présentent une ou
plusieurs complications, générales et (ou) locales, cause(s) du
décès dans un tiers des cas : ce sont les pancréatites graves.
Évaluer le pronostic c’est tenter de savoir si l’on est en
présence d’une pancréatite aiguë bénigne ou grave. Les
événements physiopathologiques locaux et généraux qui
déterminent la bénignité ou la gravité d’une pancréatite aiguë,
ont déjà eu lieu au moment du diagnostic. L’évaluation
pronostique peut et doit être faite dès l’admission.
L’évaluation du pronostic détermine l’appartenance du patient à
un groupe dont on connaît les risques et permet de mettre en
œuvre les moyens diagnostiques et thérapeutiques en cohérence
avec les complications redoutées. Soixante-quinze pour cent des
pancréatites aiguës sont d’origine biliaire ou alcoolique et 10
% sont idiopathiques.
PHYSIOPATHOLOGIE :
Les pancréatites aiguës correspondent à une atteinte
inflammatoire de la glande pancréatique, pouvant aller du simple
œdème à la nécrose hémorragique de la glande. Cette inflammation
est secondaire à une autodigestion du pancréas et peut survenir
sur un pancréas sain ou sur un pancréas qui est déjà le siège
d'une atteinte chronique.
Dans une situation normale, les enzymes de la digestion comme la
trypsine sont produites par le pancréas sous forme inactive et
ce n'est que dans le tube digestif qu'elles sont activées par
des hydrolases. Au cours de la pancréatite aiguë, les enzymes
sont activées prématurément et entraînent une inflammation du
parenchyme qui peut aboutir à une destruction complète du
pancréas.
Étiologies :
- Les deux principales causes de pancréatite aiguë sont la
migration d'une lithiase vésiculaire (60 %) et l'alcoolisme (40
%).
- Les autres causes sont beaucoup plus exceptionnelles :
- pancréatites d'origine mécanique : obstruction du canal de
Wirsung par une tumeur ou un parasite (ascaris), Pancreas
divisum.
- les pancréatites d'origine iatrogène
post-cholangio-pancréatographie rétrograde ;
- il existe d'exceptionnelles formes familiales de pancréatite
aiguë.
- Enfin, le nombre de pancréatites idiopathiques s'est beaucoup
restreint depuis la recherche systématique de microcristaux
vésiculaires.
Diagnostic positif :
MANIFESTATIONS CLINIQUES :
Les signes cliniques sont maximaux dans la forme nécrosante.
La douleur :
- La douleur est :
- d'apparition brutale.
- de siège épigastrique en barre (pouvant déborder sur les deux
hypocondres).
- à irradiation postérieure (transfixiante) et vers l'épaule
gauche.
- d'intensité majeure, non calmée par les antalgiques et
relativement soulagée par la position en “ chien de fusil ”.
- Elle est parfois déclenchée par un excès alimentaire ou
d'alcool.
- La douleur s'accompagne fréquemment de nausées ou de
vomissements et parfois d'un arrêt des matières et des gaz.
Etat général :
L'état général est altéré.
Il peut exister un état de choc comme en témoignent un pouls
rapide filant, une tension artérielle basse, des marbrures, une
polypnée, une oligurie.
La température peut être élevée (rarement supérieure à 38 °C).
Signes physiques :
L'examen clinique est pauvre et c'est la discordance entre la
gravité des signes généraux et la pauvreté de l'examen clinique
qui doit alerter :
- l'abdomen respire normalement ; il existe une sensibilité et
un empâtement épigastrique, sans contracture ;
- on peut trouver un météorisme localisé et une douleur
provoquée de la région costo-lombaire gauche ;
- il existe parfois un subictère.
On recherche des taches cyaniques péri-ombilicales (signe de
Cullen) et une ecchymose des flancs (signe de Grey-Turner) qui
sont des signes de pancréatite nécrosante.
EXAMENS BIOLOGIQUES :
Examens à but diagnostique :
- L'amylasémie est élevée (supérieure à trois fois la
normale). C'est un signe précoce, mais qui peut être
transitoire.
- L'hyperamylasurie est d'apparition plus tardive mais
elle persiste plus longtemps après la normalisation des taux
sériques.
- La lipasémie est élevée mais rarement réalisable en urgence.
Examens à but pronostique :
Les autres examens sont surtout utiles pour préciser le
pronostic :
- ionogramme sanguin avec dosage de l'urée et de la créatinine
sanguines ;
- numération formule sanguine ;
- transaminases, LDH, gamma GT, phosphatases alcalines,
bilirubine totale et conjuguée ;
- gaz du sang artériel ;
- protéine C réactive : marqueur biologique de pancréatite
aiguë grave, dont le taux est corrélé à l'importance de
l'inflammation et de la nécrose ;
- hyperglycémie supérieure à 2 g/l ou une glycosurie chez un
malade non diabétique au préalable.
- l'existence d'une hypocalcémie à l'entrée est un facteur de
gravité.
- recherche d'une hyperlipidémie, d'une hypercalcémie dans le
cadre du bilan étiologique.
EXAMENS MORPHOLOGIQUES :
Les examens morphologiques permettent d'orienter vers
l'étiologie et de juger de la gravité de la pancréatite.
Radiographie de l'abdomen sans préparation :
Demander une radiographie de l'abdomen sans préparation pour
rechercher des calcifications pancréatiques.
Echographie abdominale sus-méso-colique :
Une échographie abdominale sus-méso-colique permet la recherche
systématique :
- d'une lithiase ou d'un “ sludge ” vésiculaire.
- d'une dilatation de la voie biliaire principale.
L'examen de la glande pancréatique est souvent difficile du fait
de la présence d'un iléus.
Tomodensitométrie abdominale :
Associée à des coupes jointives des coupoles diaphragmatiques au
cul-de-sac de Douglas, la TDM abdominale est le meilleur examen
pour porter le diagnostic de pancréatite aiguë.
L'examen décrit la lésion du pancréas, le degré d'extension
extra-pancréatique et la présence de collections liquidiennes.
Lésion du pancréas :
- Le pancréas paraît augmenté de volume, avec des limites
imprécises. Il est hétérogène, contenant des plages hypodenses
et parfois hyperdenses, témoignant d'hémorragies.
- L'injection d'un produit de contraste permet de délimiter les
zones de parenchyme intact prenant le contraste, à la différence
des tissus nécrosés dont la densité ne varie pas.
- l'atteinte de la graisse pancréatique se traduit par une
élévation de sa densité ;
- les coulées nécrotiques à distance du pancréas (dont le nombre
est un facteur pronostique (classification de Balthazar) :
- se traduisent par des syndromes de masse, dont les densités
sont basses, ne prenant pas ou peu le produit de contraste.
- leur topographie est variable : petit épiploon, espace
rétropéritonéal droit ou gauche, gouttière pararénale gauche ou
plus rarement : mésentère, gouttière pararénale droite, pelvis,
espaces pararénaux postérieurs, rétropéritoine, médiastin.
Collections liquidiennes :
La présence de collections liquidiennes est recherchée, sous
forme d'un épanchement pleural gauche le plus souvent ou d'un
épanchement intrapéritonéal.
Echoendoscopie bilio-pancréatique :
L'échoendoscopie bilio-pancréatique est un examen important dans
le bilan étiologique à la recherche d'une minilithiase
vésiculaire, lorsque l'échographie transpariétale ne retrouve
pas de lithiase.
Par contre, la TDM abdominale reste le meilleur examen pour
faire le bilan d'extension des lésions.
Diagnostic différentiel :
Les diagnostics différentiels de la pancréatite aiguë sont :
- l'ulcère gastro-duodénal en poussée.
- la colique hépatique ou la cholécystite.
- l'infarctus du myocarde inférieur.
- l'infarctus mésentérique.
Diagnostic étiologique :
PANCRÉATITE BILIAIRE :
La pancréatite biliaire est la première cause de pancréatite
aiguë en France.
Examens biologiques :
- Le score biologique de Blamey permet d'orienter vers une
origine biliaire si au moins trois des facteurs suivants sont
présents à l'admission du patient :
- taux de phosphatases alcalines supérieur à 300 UI/l.
- âge supérieur à 50 ans.
- taux d'ALAT supérieur à 100 UI/l.
- sexe féminin.
- taux d'amylase supérieur à 4 000 UI/l.
- Le tubage biliaire (par voie endoscopique, après
injection intramusculaire de cholécystokinine), à la recherche
de microcristaux de cholestérol dans la bile vésiculaire, est
effectué en cas de doute sur l'origine biliaire de la
pancréatite, lorsque les examens d'imagerie sont négatifs.
Examens morphologiques :
- Echographie sus-méso-colique à la recherche d'une lithiase
vésiculaire ou de la voie biliaire principale, ou bien d'un “
sludge ” vésiculaire.
- Echoendoscopie bilio-pancréatique à la recherche d'une
minilithiase vésiculaire non vue en échographie transpariétale.
PANCREATITE ALCOOLIQUE :
La pancréatite alcoolique est la seconde cause de pancréatite
aiguë en France.
- Le diagnostic se fait au cours de l'interrogatoire. Les
poussées sont déclenchées par une prise excessive d'alcool et/ou
un repas abondant. Les poussées de pancréatite aiguë surviennent
au début de l'évolution de la pancréatite chronique.
- 90 % des pancréatites aiguës alcooliques sont des pancréatites
chroniques débutantes. Il faut rechercher des signes de
pancréatite chronique sur les examens morphologiques
(calcifications du parenchyme pancréatique).
Évolution et pronostic :
80 % des pancréatites aiguës sont bénignes et évoluent plus ou
moins rapidement vers la guérison.
En revanche, 20 % sont graves et entraînent une complication,
voire le décès.
Les scores de Ranson et de Balthazar permettent de calculer les
critères de gravité de la pancréatite aiguë.
CRITERES DE GRAVITÉ :
Score de Ranson :
Le score de Ranson est un test clinicobiologique prenant en
compte :
- à l'admission à l'hôpital :
- un âge supérieur à 55 ans.
- un nombre de leucocytes supérieur à 16 000/mm3.
- un taux de glycémie supérieur à 11 mmol/l.
- un taux de LDH supérieur à une fois et demie la normale.
- un taux d’ASAT supérieur à six fois la normale.
- à la 48e heure :
- chute de l’hématocrite de plus de 10 %.
- élévation de l’urée sanguine à plus de 1,8 mmol/l.
- PaO2 inférieure à 60 mmHg.
- calcémie inférieure à 2 mmol/l.
- chute des bicarbonates supérieure à 4 mEq/l.
- séquestration liquidienne supérieure à 6 litres.
Chaque facteur est affecté d'un coefficient 1. La sévérité de la
pancréatite et le pourcentage de décès sont proportionnels au
nombre de signes présents (voir tableau).
Score de Balthazar :
- Le score de Balthazar est une échelle tomodensitométrique
prenant en compte l'importance des remaniements morphologiques
au niveau de la glande pancréatique et la présence ou non de
coulées péripancréatiques :
- grade A : pancréas normal (nombre de points : 0).
- grade B : élargissement du pancréas (nombre de points : 1).
- grade C : infiltration de la graisse péripancréatique (nombre
de points : 2).
- grade D : présence d'une coulée de nécrose (nombre de points :
3).
- grade E : plus d'une coulée de nécrose ou présence de bulles
au niveau du pancréas (nombre de points : 4).
- Pronostic en fonction du nombre de points :
- nombre de points inférieur ou égal à 3 : pancréatite aiguë
modérée ;
- nombre de points égal ou supérieur à 4 : pancréatite aiguë
sévère.
ÉVOLUTION :
Pancréatite aiguë œdémateuse :
La pancréatite aiguë œdémateuse guérit en 8 à 10 jours.
Sous traitement médical, la douleur et les signes abdominaux
disparaissent, les signes biologiques se normalisent.
Pancréatite aiguë nécrotique :
La pancréatite aiguë nécrotique évolue en deux phases.
Phase initiale :
La phase initiale est marquée par la survenue potentielle :
- d'un choc ;
- d'une insuffisance respiratoire (allant de l'hypoxie au
syndrome de détresse respiratoire aiguë) ;
- d'une insuffisance rénale ;
- de troubles psychiques, métaboliques ou de la coagulation.
Phase secondaire :
La phase secondaire est marquée par la survenue potentielle de
complications de la nécrose pancréatique et/ou des coulées
nécrotico-inflammatoires péripancréatiques :
- extension de la nécrose pouvant entraîner des
hémorragies par ulcérations vasculaires, une nécrose et
perforation des organes digestifs de voisinage :
- apparition de pseudo-kystes, se formant à partir de la nécrose
pancréatique en 2 à 6 semaines.
- les pseudo-kystes ont une évolution variable : régression
spontanée, surinfection, fistulisation dans un organe de
voisinage, accroissement du volume pouvant aboutir à une rupture
intrapéritonéale ;
- une surinfection de la nécrose :
- survient dans 20 % à 50 % des formes nécrotiques.
- est à l'origine du décès du patient dans 20 % à 50 % des cas.
Traitement :
Il est admis que le traitement initial de la pancréatite aiguë
grave est médical. Les indications chirurgicales sont
essentiellement liées à la survenue d'abcès secondaires.
La prise en charge thérapeutique est essentiellement
symptomatique, excepté dans le cadre des pancréatites aiguës
biliaires où le traitement spécifique de la lithiase doit être
envisagé.
Pancréatites œdémateuses :
Le traitement des pancréatites œdémateuses comporte :
- un malade mis au repos digestif.
- la mise en place d’une sonde d'aspiration gastrique s'il
existe des troubles du transit ;
- une réalimentation 48 heures après la disparition de la
symptomatologie douloureuse, à stopper en cas de récidive
douloureuse ou réascension des enzymes pancréatiques.
Pancréatites nécrotico-hémorragiques :
Le traitement des pancréatites nécrotico-hémorragiques comporte
:
- la prise en charge du patient dans une unité de
réanimation médico-chirurgicale ;
- la correction de l'hypovolémie :
- l'hypovolémie est la conséquence de l'œdème de la loge
pancréatique, des mésos, de l'épanchement séreux et de l'iléus
intestinal.
- elle peut atteindre 40 % après 24 heures d'évolution.
- la mise en place d'un cathéter mesurant la pression veineuse
centrale est nécessaire pour la surveillance du “ remplissage ”
du patient, ainsi que celle d'une sonde urinaire pour surveiller
la diurèse.
- la mise au repos du pancréas :
- sonde naso-gastrique d'aspiration digestive.
- anti-H2 par voie intraveineuse.
- l'intérêt de l'administration de somatostatine par voie
sous-cutanée n'a pas été démontré.
- le traitement de la douleur par antalgiques à forte dose,
l'utilisation de morphiniques étant souvent indiquée.
- la prévention de la dénutrition par nutrition parentérale par
voie veineuse centrale est indispensable, en raison d'une
dénutrition importante et rapide induite par un hypercatabolisme
;
- en cas de complications cardio-respiratoires :
- dobutamine et dopamine pour lutter contre le choc.
- intubation et ventilation assistée.
- en cas d’insuffisance rénale : hémodialyse.
- la prévention de la surinfection :
- l'utilisation d'antibiotiques en première intention est
indiquée dans les pancréatites aiguës moyennes à sévères.
- le choix des antibiotiques est guidé par le type de germes
retrouvés lors des surinfections (bacille à Gram négatif dans
deux tiers des cas) et la diffusion des antibiotiques dans le
pancréas inflammatoire et nécrotique.
- les antibiotiques utilisés en première intention sont les
quinolones.
- en cas d’hyperthermie, la ponction percutanée à l'aiguille
fine de la nécrose permet d'isoler le germe et d'instituer une
antibiothérapie adaptée.
- en cas de surinfection de la nécrose ou de constitution d'un
abcès, on effectue :
- un drainage percutané sous échographie ou TDM.
- ou bien un drainage chirurgical en fonction de la voie d'abord
envisagée.
Pancréatites aiguës biliaires :
- Actuellement, l'indication de la sphinctérotomie biliaire
d'urgence est indiscutable en cas de persistance d'un calcul
enclavé dans la voie biliaire principale après une première
poussée de pancréatite aiguë.
- Hormis le cas de la lithiase enclavée dans la voie biliaire
principale, des arguments plaident en faveur de l'intérêt de la
sphinctérotomie endoscopique moins de 48 heures après le début
des signes cliniques lorsqu'il existe des signes
clinicobiologiques de gravité.
- Ce geste diminue surtout le taux des complications
infectieuses biliaires et pourrait influer, quoique de façon non
significative, sur la mortalité.
- Le but de la sphinctérotomie endoscopique est d'assurer la
liberté de la voie biliaire principale et d'éviter un nouveau
traumatisme oddien en cas de récidive de migration d'un calcul
vésiculaire.
- Une cholécystectomie sera effectuée dans les suites de la
pancréatite aiguë.