Arcs branchiaux : aspects normaux et pathologiques (Suite)
Cours d'ORL (Oto-rhino-laryngologie)
C - CONTRÔLE GÉNÉTIQUE DE LA MORPHOGENÈSE
AU SEIN D’UN ARC
:
La séparation en arcs constitue un compartiment de taille réduite où
l’interaction entre feuillets est facilitée.
Ainsi, la forme des muscles
dont l’origine est mésodermique dépend de celle des cellules issues
de la crête neurale.
De plus, ectoderme et endoderme peuvent
sécréter des protéines solubles agissant à courte distance, vers le
mésenchyme issu de la crête neurale et du mésoderme.
Ainsi,
l’endothéline-1 est sécrétée par l’ectoderme des arcs branchiaux, agit
sur les cellules de la crête neurale qui expriment le récepteur A de
l’endothéline, et est nécessaire pour l’expression du facteur de
transcription goosecoid dans ces dernières.
De plus, à un stade
précoce, avant la migration de la crête neurale, l’endoderme et
l’ectoderme des arcs sont étroitement associés et peuvent échanger
des signaux.
Ainsi, la formation des placodes épibranchiales
provenant de l’ectoderme des arcs 4-6 et contribuant aux ganglions
des nerfs IX-X, requiert des signaux permissifs de l’endoderme qui
leur est transitoirement apposé.
Au sein de chaque arc, trois axes de référence sont utilisés afin de
repérer les coordonnées d’une cellule : l’axe proximodistal, l’axe
antéropostérieur, l’axe médiolatéral.
En fonction de sa position, une
cellule reçoit différents signaux qui l’orientent vers une destinée
différente.
En ce qui concerne par exemple l’organisation de la
polarité antéropostérieure (ou céphalocaudale) au sein d’un arc,
l’épithélium de la partie antérieure du premier arc branchial recrute
les cellules de crête neurale sous-jacentes pour former des dents.
Jusqu’au 10e jour embryonnaire chez la souris, toutes les cellules de
crête neurale de la tête ont la capacité de former des dents alors
qu’après ce stade, les cellules postérieures du premier arc ne le
peuvent plus.
Alors que les facteurs de transcription à domaine Lim,
Lhx-6 et Lhx-7 sont exprimés dans la moitié antérieure du
mésenchyme du premier et du deuxième arcs, le gène à homéoboîte
goosecoid s’exprime dans la moitié postérieure.
Le fibroblast growth
factor 8 (FGF8), un facteur de croissance sécrété par
l’ectoderme et l’endoderme antérieurs induit l’expression des gènes
Lhx-6 et Lhx-7, qui à leur tour semblent restreindre l’expression de
goosecoid à la partie postérieure de l’arc.
Initialement, les cellules de
la crête neurale rostrale et caudale sont équivalentes et peuvent
répondre de la même façon au FGF8 sécrété par le tissu rostral ce
qui montre que l’information de différenciation antéropostérieure
dans le premier arc est contrôlée par l’ectoderme et l’endoderme.
De nombreuses autres protéines sécrétées, dont le rôle reste à
déterminer, sont produites dans des zones bien définies de
l’ectoderme et endoderme des arcs.
En ce qui concerne l’organisation de l’axe proximodistal, les cellules
de la crête neurale mésencéphalique remplissent la partie distale du
premier arc alors que la partie proximale vient des rhombomères 1,
2 et 3.
Les cellules distales forment les os de la mâchoire supérieure
(os maxillaire, palatin et malaire), la plupart du cartilage de Meckel
ainsi que les os qui le recouvrent (mandibule, os operculaire) alors
que les cellules proximales forment l’articulation de la mâchoire.
Outre ces différences de peuplement, différents gènes organisent
l’arc le long de l’axe proximodistal.
Lorsque le gène Prx1, codant
pour un facteur de transcription à homéodomaine, est muté, la
partie proximale du premier arc ne se forme pas.
Lorsque Prx1 et
son homologue Prx2 sont mutés, la partie distale du premier arc est
affectée à son tour. Le cartilage de Meckel se condense mais se
résorbe par la suite.
D’autres gènes à homéoboîte de la sous-famille
aristaless tels que Cart1, Alx3 et Alx4 sont exprimés dans la partie
distale du premier arc bien que leur fonction soit encore inconnue.
L’expression de la plupart des gènes à homéoboîte Distalless, Dlx-1,
-2, -3, -5, -6 et -7 est elle aussi restreinte le long de l’axe
proximodistal dans les cellules de la crête neurale.
Alors que Dlx-1
et -2 sont exprimés dans la totalité du premier et du deuxième arc,
les souris dont le gène Dlx-2 a été inactivé ont des défauts des
dérivés proximaux de l’arc mandibulaire (enclume, une partie de
l’alisphénoïde).
Les dérivés proximaux du deuxième arc sont aussi
affectés lorsque Dlx-2 ou Dlx-1 sont mutés : l’apophyse styloïde et
l’étrier sont anormaux, l’étrier en particulier n’a pas de perforation
centrale car l’artère stapédienne manque.
Leurs molaires de la
mâchoire supérieure sont anormales mais les incisives et les molaires
de la mâchoire inférieure sont normales.
Certains dérivés distaux
tels que ceux de la mâchoire supérieure (os maxillaire, palatin et
malaire) ainsi que des dérivés de la crête neurale plus antérieure
(apophyse ptérygoïde, écaille du temporal, une partie de
l’alisphénoïde) sont aussi affectés.
Les gènes Dlx-3, -5 et -6 étant
restreints à des domaines plus distaux, il est possible que les
mutations de Dlx-1 et -2 n’affectent pas les parties les plus distales
de arcs 1 et 2 car les autres Dlx leur sont redondants dans la partie
distale.
Les gènes Dlx ont aussi une expression en gradient le long de l’axe
médiolatéral.
Dlx-5 et -6 sont les plus médians, Dlx-1 et -2 sont
absents de la partie la plus médiane et Dlx-3 est le plus latéral.
En
plus des différences au sein d’un arc, les arcs situés à gauche et à
droite du corps ne sont pas absolument symétriques.
Si leurs os et
muscles sont généralement symétriques, à l’image de la face, plus
tard, les arcs aortiques ne le sont pas.
Certains dégénèrent
spécifiquement d’un côté alors que d’autres sont maintenus pour
donner naissance aux vaisseaux supra-aortiques.
Les bases
moléculaires de cette asymétrie pourraient être très précoces,
s’initiant dès la gastrulation dans le mésoderme, comme cela a été
montré pour l’asymétrie des viscères.
D - RÉGULATION GÉNIQUE DE L’ORGANOGENÈSE :
Il nous a paru évident qu’il nous était impossible de présenter dans
ce chapitre toutes les connaissances concernant les différentes
structures issues des arcs branchiaux.
Nous avons choisi de
présenter la régulation génique de la morphogenèse de la thyroïde.
En effet, cette glande est une structure complexe d’origine
pluritissulaire.
Ainsi, les follicules thyroïdiens proviennent de
l’endoderme des arcs branchiaux, les cellules C (qui sécrètent la
calcitonine) proviennent de la crête neurale rhombencéphalique, les
cellules endothéliales des vaisseaux viennent du mésoderme
céphalique et les cellules du stroma de la crête neurale
rhombencéphalique.
De plus, l’hypothyroïdie congénitale est une
pathologie fréquente (1 sur 3 000 à 4 000 naissances) due, dans 80 %
des cas, à une anomalie du développement de la thyroïde.
Plusieurs
mutations ont été mises en évidence chez des patients présentant un
tel syndrome : mutation du gène du récepteur à la TSH, du gène
TTF-2 codant pour un facteur de transcription ou du gène PAX 8
codant pour un facteur de transcription de la famille Pax.
Ces
mutations indiquent que ces gènes jouent un rôle dans le contrôle
de la morphogenèse thyroïdienne chez l’homme mais ne permettent
pas d’affirmer les étapes de différenciation contrôlées par de tels
gènes.
Pour ce faire, il est nécessaire de recourir à l’expérimentation
animale, même si celle-ci est souvent dénigrée par les biologistes du
développement issus du milieu médical.
L’invalidation de gènes par
recombinaison homologue a montré, chez la souris, l’implication des
gènes Pax8, Hoxa-3, Ttf-1(homologue murin de TTF-1) et
Titf-2 (homologue murin de TTF-2).
Toutes ces données indiquent
que ces gènes interviennent en une cascade génique nécessaire pour
la différenciation de la glande.
L’étude de l’expression de ces
différents marqueurs dans les différentes souches mutées permet de
positionner chacun de ces gènes dans cette cascade et de proposer
un modèle théorique qui rend compte de la morphogenèse
thyroïdienne.
Le gène Hoxa-3 code pour un facteur de transcription qui est
exprimé par les cellules de l’ébauche thyroïdienne et par les cellules
du corps ultimobranchial.
L’invalidation génique de Hoxa-3 entraîne,
à l’état homozygote et au niveau de la glande thyroïde, une
hypoplasie avec parfois persistance d’une vésicule qui correspond à
un corps ultimobranchial non fusionné avec le corps thyroïdien.
Il est intéressant de constater que la pénétrance de ces anomalies de
fusion est augmentée en cas de double invalidation touchant des
gènes paralogues du groupe 3 (double mutant homozygote a-3 et
b-3 et double mutant a-3 et d-3).
Dans ces cas, le défaut de fusion
entre corps ultimobranchial et thyroïde est constant.
Chez ces
doubles mutants, la vésicule provenant du corps ultimobranchial
contient des follicules emplis de substance colloïde.
Ce résultat
suggère que les cellules du corps ultimobranchial ont une double
potentialité de différenciation : cellule C et cellule folliculaire.
En
cas d’absence de fusion bilatérale, aucune cellule C n’est présente
dans la glande thyroïde, indiquant que le corps ultimobranchial est
la seule source de cellules C de l’organisme.
Le gène Ttf-1 (ou Nkx 2.1 ou T/ebp) code pour un facteur de
transcription exprimé par de nombreux tissus au cours du
développement en particulier de la thyroïde, l’hypothalamus et les
cellules de tractus respiratoire.
L’invalidation génique de ce gène à
l’état homozygote conduit à une absence totale de thyroïde.
Il
existe aussi une anomalie majeure de l’hypophyse, de
l’hypothalamus et du tractus respiratoire.
Ce gène joue donc un rôle
dans le développement thyroïdien.
Le gène Pax8 code pour un facteur de transcription qui est exprimé
par les cellules glandulaires de la thyroïde.
L’invalidation de ce gène
entraîne à l’état homozygote des anomalies thyroïdiennes
caractérisées par des glandes dépourvues de follicules et ne
contenant que des cellules C.
L’analyse d’embryons à différents
stades du développement montre que l’ébauche thyroïdienne se
forme à partir de l’endoderme.
Ces cellules expriment Ttf-1.
Mais
cette ébauche ne peut évoluer correctement.
Ainsi, ces résultats
suggèrent que Pax8 est un gène indispensable pour le maintien de
la différenciation de l’ébauche thyroïdienne et qu’il est situé en aval
de Ttf-1 dans la cascade génique.
Le gène titf-2 (ou TTF-2) code pour un facteur de transcription
exprimé par les cellules précurseurs des follicules thyroïdiens.
Ce
gène ne s’exprime plus après la différenciation folliculaire.
L’invalidation de ce gène à l’état homozygote conduit à la formation
d’une glande ectopique de petite taille dont les cellules folliculaires
sont correctement différenciées.
L’analyse temporelle du phénotype
des mutants montre que le rudiment thyroïdien se forme
normalement à partir de l’endoderme des arcs branchiaux mais que
la migration de ces cellules est affectée.
Ainsi, ce gène est impliqué
dans le contrôle des processus migratoires qui conduisent à la mise
en place de la glande, mais pas dans le contrôle de la différenciation
cellulaire terminale.
De plus, chez ce mutant, les cellules
thyroïdiennes expriment les gènes TTF-1 et Pax8 montrant que le
gène TTF-2 ne contrôle pas leur expression.
En conclusion de toutes ces études, on peut résumer les fonctions
de ces différents gènes.
Les gènes Pax8 et TTF-1 sont indispensables
à la différenciation des cellules folliculaires.
Le gène TTF-2 est
impliqué dans la migration des cellules précurseurs après leur
invagination à partir de l’endoderme des arcs branchiaux.
Les gènes
du complexe Hox (paralogues a-3, b-3 et d-3) contrôlent la fusion du
corps ultimobranchial avec la glande thyroïde.
Dans l’avenir, une
meilleure connaissance de la régulation génique de la morphogenèse
thyroïdienne devrait permettre de proposer une cascade
d’activations successives conduisant à la mise en place définitive de
cette glande.
E - CONTRÔLE GÉNÉTIQUE DE LA MISE EN PLACE
DE L’OREILLE EXTERNE
:
Chez l’animal, de nombreux gènes contrôlent le développement de
l’oreille externe.
Le pavillon de l’oreille est
anormal en cas d’invalidation des gènes goosecoid, Hoxa-1 isolé ou
associé à l’invalidation de Hoxb-1, dHAND et ceux codant pour
l’endothéline 1, le récepteur A de l’endothéline et l’enzyme de
conversion de l’endothéline.
Le conduit auditif externe ne se forme
pas en cas d’invalidation des gènes goosecoid, double invalidation
Hoxa-1 et Hoxb-1 et dHAND, et ceux codant pour l’endothéline 1, le
récepteur A de l’endothéline et l’enzyme de conversion de
l’endothéline.
Le cas de l’invalidation des gènes Hoxa-1 et b-1 est
très illustratif.
Les souris Hoxa-1 -/- présentent une hypoplasie du
pavillon de l’oreille alors que les souris Hoxb-1 -/- n’ont pas de
phénotype auriculaire externe.
En cas de double invalidation Hoxa-1
et b-1, les souris mutantes présentent une aplasie totale du pavillon
de l’oreille.
Ce résultat montre un exemple de redondance génique :
les fonctions d’un gène peuvent être compensées (totalement ou
partiellement) par un gène proche (ici un gène paralogue du
complexe Hox). Ainsi, en cas de simple invalidation, le phénotype
est discret et se révèle en cas de double invalidation.
De plus, les
souris doubles mutantes Hoxa-1 -/- et Hoxb-1 -/- présentent une
déplétion des cellules issues de la crête neurale et peuplant le
deuxième arc branchial.
Ces souris n’ont pas d’anomalie des cellules
de la crête neurale peuplant le premier arc.
Or, dans ce cas, il est
intéressant de noter que les anomalies ne sont pas restreintes aux
tissus spécifiquement dérivés du deuxième arc branchial (aplasie de
tout le pavillon de l’oreille qui dérive classiquement des premier et
deuxième arcs).
Deux hypothèses peuvent être proposées pour
rendre compte de ces résultats :
– soit le pavillon de l’oreille dérive exclusivement du deuxième arc
branchial sans aucune participation des cellules du premier arc ;
– soit, explication plus plausible, les cellules du deuxième arc
exercent un effet trophique inducteur sur celles du premier arc, si
bien qu’en leur absence les dérivés auriculaires du premier arc ne se
mettent pas en place.
Cet exemple montre les difficultés d’interprétation des phénotypes
de mutants chez l’animal et amène à réfléchir sur les interprétations
des phénotypes humains qui restent hautement hypothétiques.
Ceci
est d’autant plus complexe que les souris homozygotes Hoxa-2 -/-
pour lesquelles les cellules proximales du deuxième arc branchial
changent leur identité en cellules du premier arc, réalisant une
duplication en « miroir », ont une hypoplasie du pavillon de l’oreille
externe.
Mais il ne s’agit pas d’une aplasie totale.
En effet, persiste
la partie ventrale du pavillon qui provient probablement du premier
arc et peut se développer en absence de cellules du deuxième arc.
De plus, ces souris présentent une véritable duplication du conduit
auditif externe avec deux anneaux tympaniques et deux tympans.
Enfin, le gène responsable du syndrome de Treacher Collins dans
lequel on observe entre autres une microtie a été cloné récemment.
Il code pour une protéine sans homologie connue. Sa fonction sera
très intéressante à rechercher du fait du phénotype observé chez
l’homme.
Ce gène joue un rôle très probable dans les processus de
développement des oreilles externe et moyenne.
F - CONTRÔLE GÉNÉTIQUE DE LA MORPHOGENÈSE
DE L’OREILLE MOYENNE
:
Le problème de l’oreille moyenne est qu’elle est une acquisition
récente au cours de la phylogenèse.
Aussi, certaines structures,
comme les osselets, ne sont présentes que chez les mammifères.
Il
est donc difficile d’étudier l’origine de chacune de ces structures
puisque les cartographies à long terme sont pour le moment
impossibles chez les mammifères.
Il nous paraît important que le
clinicien soit particulièrement prudent avant d’assurer l’origine
embryologique d’anomalies observées chez certains patients.
Il nous
paraît beaucoup plus adapté de décrire les malformations plutôt que
de les regrouper sous des vocables généraux tels les syndromes du
premier arc.
Chez la souris, la pratique des invalidations géniques a conduit à
démontrer le rôle de nombreux gènes dans le contrôle de la
morphogenèse de l’oreille moyenne.
L’invalidation du gène dHAND, des gènes codant pour l’endothéline
1, le récepteur A de l’endothéline ou l’enzyme de conversion de
l’endothéline entraîne une absence complète des éléments issus des
deux premiers arcs branchiaux.
L’invalidation du gène AP2 codant
pour un facteur de transcription conduit à des anomalies des
structures provenant de la crête neurale céphalique dont l’oreille.
L’invalidation de certains récepteurs de l’acide rétinoïque conduit à
des anomalies mineures de l’enclume et surtout à une absence de
l’étrier.
L’invalidation du gène Hoxa-2 conduit, à l’état homozygote,
à une transformation des éléments issus du deuxième arc branchial
en éléments du premier arc.
Il s’ensuit une duplication en « miroir »
du marteau, de l’enclume, de l’anneau tympanique, du rocher et du
conduit auditif externe.
Ce résultat renforce l’origine branchiale des
osselets (marteau et enclume provenant du premier arc alors que
l’étrier provient du deuxième).
Les résultats de l’invalidation du
gène Hoxa-1 sont encore difficiles à interpréter.
Les phénotypes
varient selon les constructions avec des structures atteintes dans
lesquelles le gène ne s’exprime pas normalement.
Il pourrait s’agir
d’une dérégulation d’autres gènes Hox du complexe a en particulier
Hoxa-2.
La double invalidation Hoxa-1 et Hoxb-1 entraîne une
majoration du phénotype précédent avec réduction très importante
du marteau, du muscle du marteau, une enclume normale et un
étrier et son muscle absents.
Ces résultats démontrent les processus
de redondance génique déjà décrits pour l’oreille externe avec ces
mêmes gènes.
Comme l’enclume est normale et que la double
invalidation Hoxa-1 et b-1 entraîne une perte des cellules issues de
la crête neurale et migrant dans le deuxième arc branchial, on peut
en conclure que l’enclume ne dérive pas du deuxième arc mais
provient en totalité du premier.
En ce qui concerne le marteau, les
conclusions sont plus complexes.
Sa réduction pourrait témoigner
d’un effet inducteur exercé par les cellules du deuxième arc sur les
cellules du premier.
L’invalidation du gène Prx1 (autrefois dénommé Mhox) entraîne à l’état homozygote une absence complète de
l’anneau tympanique, une anomalie mineure du marteau, une enclume et un étrier anormaux.
L’invalidation du gène Dlx-2
conduit, à l’état homozygote, à une anomalie de l’étrier et de
l’enclume et une absence d’artère stapédienne alors que
l’invalidation du gène Dlx-1 de la même famille entraîne un
phénotype restreint à l’étrier et à l’artère stapédienne.
Les mutants
homozygotes goosecoid -/- n’ont pas d’anneau tympanique, pas de
conduit auditif externe et un marteau tronqué.
L’invalidation du
gène Msx1 entraîne à l’état homozygote une anomalie de la forme
du marteau.
L’invalidation du gène Otx2 donne des résultats très
intéressants sur le plan théorique.
Chez les hétérozygotes, le
phénotype dépend du fond génétique (correspondant à une lignée
murine consanguine). Ainsi, le fond CDA supprime de façon semidominante
le phénotype alors que le fond C57Bl/6 l’induit.
Ces
résultats démontrent la notion de gènes modificateurs d’un
phénotype et renforcent la complexité des mécanismes génétiques
qui conduisent à une malformation.
Chez les hétérozygotes atteints,
le marteau fusionne avec le cartilage de Meckel en cas d’agnathie.
Ce phénotype est en fait secondaire aux anomalies mandibulaires
observées chez ces animaux.
Il n’est donc pas certain que le gène
Otx2 joue un rôle direct dans la morphogenèse de l’oreille moyenne.
Anomalies du développement des arcs
branchiaux chez l’homme :
A - KYSTES ET FISTULES CERVICAUX LATÉRAUX
:
Ce sont de loin les lésions les plus fréquentes de ce type.
On décrit
différentes formes en fonction de leur localisation.
1- Kystes et fistules en rapport avec la première fente
:
Selon les rapports anatomiques avec la glande parotide et avec le
nerf facial, on distingue deux types.
– Le type I réalise une duplication du conduit auditif externe
membraneux.
Le trajet fistuleux siège en dedans, en bas et en arrière
du pavillon et de la conque, il se dirige à la face externe du nerf
facial, parallèlement à celui-ci et au conduit auditif externe, entouré
de parenchyme parotidien pour se terminer en cul-de-sac dans la
région préauriculaire.
L’analyse histologique de ces fistules ne
montre pas d’annexes cutanées ni de résidus cartilagineux.
Ces
lésions sont classiquement considérées comme résultant de
duplication du conduit auditif externe d’origine ectodermique.
Toutefois, les conceptions actuelles de la formation de ce conduit
rendent peu probable une telle hypothèse.
En effet, il est
actuellement postulé que le conduit auditif externe se forme
secondairement à la formation de l’anneau tympanique et n’est pas
un processus morphogénétique autonome.
Or, dans ces fistules
de type I il n’existe pas de duplication de l’anneau tympanique et
nous pensons que cette fistule ne doit pas être considérée comme un
deuxième conduit auditif externe mais comme la persistance de la
fente ectodermique.
– Le type II est une lésion plus fréquente que la précédente.
Ces
lésions sont situées en arrière de la mandibule sous forme d’un kyste
en arrière de la partie inférieure de la glande parotide et d’un trajet
fistuleux qui s’abouche à la jonction ostéocartilagineuse du conduit
auditif externe.
Ces fistules connectent des rapports étroits
avec le nerf facial.
L’analyse histologique de ces lésions montrent
des différenciations à type d’annexes cutanées ainsi que des dérivés
cartilagineux.
Dans ce cadre nosologique aussi, l’interprétation
classique est celle d’une duplication du conduit auditif externe.
Le
modèle animal qui présente une duplication de cette structure est le
mutant murin Hoxa-2 -/-.
Dans ce cas, les deux conduits auditifs
externes sont en relation avec l’oreille moyenne, il y a non seulement
deux anneaux tympaniques mais aussi deux tympans.
Cet aspect
est totalement différent de celui des fistules de type II.
Il nous paraît
peu raisonnable de proposer une telle hypothèse
physiopathologique et ces fistules doivent aussi être considérées
comme des persistances de la fente ectodermique.
2- Kystes et fistules en rapport avec la deuxième fente
:
On peut en distinguer trois types : les kystes fermés, les fistules
borgnes externes (correspondant aux sinus des Anglo-Saxons) et les
fistules complètes.
* Kystes cervicaux fermés
:
Leur mode de formation est encore très mal connu.
Il pourrait s’agir
d’une persistance incomplète d’une fente branchiale dont la partie
superficielle se serait refermée laissant persister un kyste fermé.
Une
hypothèse alternative serait la persistance d’une cavité cervicale
embryonnaire comme le sinus cervical.
Dans cette hypothèse, le
kyste ne représenterait pas une malformation branchiale stricto
sensu.
* Fistules congénitales ouvertes uniquement vers l’extérieur
:
Ce type de fistule fait intervenir le sinus cervical et doit être
considéré comme un défaut de fusion de l’épithélium recouvrant le
deuxième arc avec l’épithélium du revêtement postbranchial.
Il s’agit
donc d’une malformation qui n’est pas strictement une pathologie
de la deuxième fente.
* Fistules d’emblée complètes de la deuxième fente
:
Ces lésions, relativement fréquentes, sont des malformations
branchiales au sens strict du terme. Leur orifice externe est bas situé,
à l’union des deux tiers supérieurs et du tiers inférieur du cou, le
long du bord antérieur du muscle sterno-cléido-mastoïdien.
Leur
trajet est d’abord ascendant et superficiel, puis, après un coude, la
fente se dirige vers la profondeur et se termine au niveau de la
fossette de Rosenmüller.
Parfois, un diaphragme membraneux
sépare la fente en deux unités, une superficielle et l’autre profonde.
Nous pensons que cette structure correspond à la membrane
obturatrice persistante.
Cette absence d’involution de cette
membrane conduit à une union persistante de l’ectoderme et de
l’endoderme empêchant toute migration mésodermique.
Cette
observation d’un diaphragme nous paraît être l’élément le plus
déterminant pour cerner l’embryogenèse de ces malformations.
3- Fistules en rapport avec la troisième fente :
L’ouverture interne de la fistule se retrouve dans la paroi pharyngée
latérale.
Le trajet fistuleux décrit une boucle au-dessus du nerf XII,
la fistule entre en rapport avec l’artère carotide interne, elle chemine
sur le muscle constricteur inférieur du pharynx, derrière le lobe
latéral du corps thyroïde en croisant par sa face superficielle l’artère
thyroïdienne inférieure.
Puis, la fistule se rapproche des plans
superficiels cutanés.
Enfin, elle peut s’ouvrir vers l’extérieur au
voisinage de l’articulation sternoclaviculaire.
L’orifice à ce niveau
évoque un processus d’ouverture inflammatoire secondaire.
L’épithélium qui borde cette fistule est prismatique et constitué de
cellules ciliées.
4- Kystes en rapport avec la quatrième fente :
Il n’est pas toujours facile de les différencier des précédents.
Ils se
présentent sous la forme de suppurations cervicales basses ou de pseudothyroïdites suppurées à répétition.
Leur orifice interne est
situé au niveau du sinus piriforme.
Ils ont des rapports étroits avec
la thyroïde et l’axe laryngotrachéal.
Histologiquement, certains de
ces kystes présentent du tissu thymique.
Or, le tissu épithélial
thymique dérive de la troisième poche endobranchiale.
Mais pour
certains auteurs la quatrième poche endobranchiale serait aussi
capable de donner naissance à du tissu épithélial thymique.
On voit
donc qu’il s’agit ici d’un problème nosologique qui illustre la
complexité de la morphogenèse des arcs branchiaux.
B - KYSTES ET FISTULES CERVICAUX MÉDIANS :
Selon le tissu de revêtement, on peut distinguer trois groupes dans
ces affections.
1- Kystes dérivés du canal thyréoglosse :
Ce sont les malformations les plus fréquentes dans ce type de
localisation.
Elles sont dues à une persistance anormale du canal thyréoglosse qui se forme lors de la migration de l’ébauche
thyroïdienne.
Le point de départ de ce canal est le foramen caecum
localisé à la pointe du V lingual.
Le point distal du canal est
représenté par le sommet de la pyramide de Lalouette.
Ainsi, les
kystes du canal thyréoglosse pourront se rencontrer à un endroit
quelconque de la ligne médiane situé entre ces deux points.
Toutefois, la localisation la plus fréquente de ces lésions correspond
au niveau de l’os hyoïde.
Ces kystes sont constitués par un
épithélium sécrétoire rendant compte de leur capacité à croître.
Cette
croissance mais surtout leur infection peut conduire à une
fistulisation secondaire.
Histologiquement, la paroi de ces kystes
contient quelques follicules thyroïdiens.
Il est intéressant de savoir
que ces lésions sont habituellement sporadiques même si une famille
a été rapportée avec des individus atteints sur quatre générations,
ce qui suggère une hérédité autosomique dominante.
2- Kystes dermoïdes cervicaux antérieurs
:
Des kystes épithéliaux composés par un épithélium malpighien avec
des différenciations en annexes cutanées (kystes dermoïdes) peuvent
s’observer dans la région médiane cervicale.
Ils sont dus à la
persistance de vestiges d’ectoderme de surface qui reçoivent des
signaux inducteurs par le tissu sous-jacent induisant la formation
d’annexes cutanées.
Ces vestiges sont liés à un défaut lors de la
fusion médiane des processus des arcs branchiaux. Les deux
épithéliums se délaminent incomplètement entraînant la persistance
de résidus ectodermiques au sein du mésoderme de l’arc.
Il est
intéressant de constater que ce type de lésions ne s’observe jamais
au niveau du palais secondaire.
Ces différences pourraient
s’expliquer par la morphogenèse différente affectant les deux
régions.
Nous avons vu que la fusion au niveau du palais
s’accompagne d’une apoptôse et d’une transformation épithéliomésenchymateuse.
Au contraire, ces processus ne s’observent jamais
lors de la fusion médiane des arcs branchiaux.
Ainsi, si des vestiges
ectodermiques persistent au niveau du voile du palais, ils peuvent
être détruits par apoptôse ou transformés en cellules mésenchymateuses et un
kyste ne se forme pas.
Au contraire, pour les arcs branchiaux, ces
vestiges persistent et formeront un kyste épithélial.
3- Dysraphies mentosternales médianes
:
Ces malformations sont exceptionnelles.
Elles sont dues à une
déficience de fusion médiane entre les ébauches latérales des arcs
branchiaux.
Si ce défaut de fusion est complet, il génère une
véritable fente alors que s’il est partiel, il peut entraîner la formation
de fistules.
Elles prennent leur origine en arrière de la symphyse
mentonnière, descendent vers l’os hyoïde et la région soushyoïdienne
et se terminent en un cul-de-sac au niveau du
manubrium sternal.
Les parois épithéliales de cette fente sont
composées par un épithélium de type respiratoire.
4- Fistules isolées sur la ligne médiosternale :
Elles sont volontiers situées en position basse immédiatement audessus
du manubrium sternal.
Leur embryogenèse demeure mal
comprise. Elles pourraient témoigner d’un défaut de la délimitation
corporelle plus que d’une véritable malformation des arcs
branchiaux.
5- Syndrome branchio-oto-rénal :
C’est un exemple de pathologie conduisant à l’individualisation
d’un gène morphogène pour les arcs branchiaux.
Certaines associations malformatives sont curieuses et
imparfaitement comprises quant à leur physiopathologie.
Nous
prendrons comme exemple le syndrome branchio-oto-rénal (BOR),
syndrome autosomique dominant. Dans cette affection, plusieurs
signes sont associés :
– des fistules, sinus ou kystes latérocervicaux présents chez environ
60 % des individus atteints. Parfois des fistules préhélicéennes.
Ces
lésions sont le plus souvent bilatérales mais peuvent être
unilatérales ;
– une surdité survenant chez 75 % des individus atteints.
Cette
atteinte est de type varié ; surdité de perception (20 %), surdité de
transmission (30 %) et surdité mixte (50 %) ;
– des anomalies de la forme de l’oreille externe (dépression ou
tubercule préauriculaire, oreilles mal positionnées, sténose ou atrésie
du conduit auditif externe, microtie) ;
– des anomalies variées des osselets (fusion du marteau et de
l’enclume, défaut de jonction entre marteau et enclume) ;
– des anomalies de l’oreille interne (malformation cochléaire,
anomalie vestibulaire, anomalie de forme du conduit auditif
interne) ;
– des anomalies rénales dont l’incidence est souvent sous-estimée
faute d’examen adéquat pratiqué.
Des études systématiques de la
morphologie et de la fonction rénales montrent que ces anomalies
sont quasi constantes chez ces patients.
Les anomalies rénales
observées sont variées : agénésie, hypoplasie, reins polykystiques,
dysplasie, uretère double ou absent, méga-uretère…
Ces associations dans le cadre d’une maladie à transmission
génétique font évoquer l’existence d’un gène contrôlant le
développement normal de la région des arcs branchiaux, des oreilles
et des reins.
L’analyse génétique a conduit à cloner le gène
responsable, EYA-1, qui est un homologue chez les vertébrés du
gène eyes-absent de drosophile.
Le domaine d’expression du gène
eya-1 (homologue murin du gène humain) a été étudié.
Précocement,
le gène est exprimé par l’épithélium des fentes branchiales 2, 3 et 4
et par l’épithélium des poches pharyngées.
À des stades plus tardifs,
le gène est exprimé par le mésenchyme au contact du conduit auditif
externe mais il n’est pas exprimé par l’épithélium de ce conduit.
Ainsi, les anomalies de forme du conduit auditif externe ne sont pas
directement dues au gène muté mais semblent être secondaires aux
anomalies mésenchymateuses.
À des stades tardifs, le gène est
exprimé par le mésenchyme qui entoure les condensations
cartilagineuses précurseurs des osselets.
De même, le gène est
exprimé tardivement par le récessus tubotympanique.
Contrairement aux données concernant les oreilles externe et
moyenne où le gène eya-1 s’exprime tardivement, ce gène a une
expression précoce au niveau de l’oreille interne.
Il est exprimé tant
par l’épithélium de la vésicule otique que par le mésenchyme périotique. Enfin, le gène est exprimé par les cellules
mésenchymateuses du métanéphros lorsqu’elles se condensent.
Ce domaine d’expression rend compte des anomalies observées mais
n’explique pas le rôle joué par EYA-1 au cours du développement.
Des études fonctionnelles sont désormais nécessaires afin d’élucider
le rôle physiologique joué par ce gène dans la morphogenèse.
Cet
exemple illustre parfaitement le fait qu’un système génétique puisse
être utilisé au cours du développement de deux organes
radicalement différents expliquant certaines associations qui
pourraient paraître curieuses.