Les acrosyndromes vasculaires sont fréquents mais leur expression
clinique, leur mécanisme et leur signification pronostique très
différents selon la nature du trouble vasomoteur.
Le phénomène de
Raynaud est un acrosyndrome paroxystique.
Il est l’expression d’un
arrêt brutal mais très transitoire de la circulation artérielle digitale.
Sa prévalence est élevée.
Elle est estimée en France entre
5 et 6 % de l’ensemble de la population adulte.
Elle a été chiffrée à
4,6 % aux États-Unis.
Elle atteint jusqu’à 22 % chez la femme
jeune.
Le phénomène de Raynaud peut être primaire et évoluer
indépendamment de toute pathologie sous-jacente ou révéler une
pathologie vasculaire locorégionale ou plus souvent une maladie
systémique et, notamment, une sclérodermie.
L’érythromélalgie ou érythermalgie est également un
acrosyndrome paroxystique.
Elle est caractérisée par des accès
douloureux de rougeur et de chaleur atteignant les extrémités des
membres.
Comme le phénomène de Raynaud, elle peut être
primitive ou secondaire.
Les syndromes myéloprolifératifs en sont
la cause la plus fréquente.
Contrairement au phénomène de
Raynaud, l’érythermalgie est un acrosyndrome très rare.
L’acrocyanose est un acrosyndrome permanent et probablement le
plus fréquent de tous les acrosyndromes vasculaires.
Elle est d’observation courante dans certaines professions exposées au froid.
Aisée à reconnaître cliniquement, l’acrocyanose peut cependant
poser des difficultés de trois ordres : diagnostique lorsqu’elle
s’intrique avec un phénomène de Raynaud ; pronostique, si elle
évolue dans le cadre d’une anorexie mentale ; thérapeutique, enfin,
en raison de la faible efficacité des traitements médicaux.
Enfin, les
engelures méritent également d’être décrites au sein des acrosyndromes vasculaires.
Elles sont, en effet, la conséquence d’une
ischémie développée sous l’effet du froid.
Elles surviennent le plus
souvent chez la femme et témoignent toujours d’une protection
insuffisante vis-à-vis du froid et de l’humidité.
Leur survenue est
d’autant plus fréquente qu’il existe un trouble vasomoteur
prédisposant.
Elles peuvent être favorisées par la consommation de
certains médicaments (vasoconstricteurs par voie nasale,
bêtabloquants).
L’exploration des acrosyndromes vasculaires a bénéficié du
développement des explorations fonctionnelles non invasives, utiles
tant pour faciliter le diagnostic que pour favoriser l’approche
pathogénique du trouble.
La capillaroscopie occupe actuellement
une place de choix au sein de ces méthodes.
Phénomène de Raynaud :
A - PATHOGÉNIE :
La pathogénie du phénomène de Raynaud reste imparfaitement
élucidée et diffère au moins partiellement selon que le trouble
vasomoteur est primitif ou secondaire.
La phase blanche, syncopale, du phénomène est déterminée par un spasme des artérioles
digitales.
Le vasospasme s’établit lorsque le tonus de la paroi
vasculaire dépasse la pression intraluminale.
Cette situation peut
s’observer si la pression intraluminale diminue ou si le tonus de la
paroi vasculaire augmente.
La réduction de la pression intraluminale
est essentiellement fonction des lésions artérielles quel qu’en soit le
niveau.
Dans les phénomènes de Raynaud secondaires, ces lésions
vasculaires sont habituelles, qu’il s’agisse des connectivites ou des
artériopathies.
Le flux sanguin digital de base est diminué, ce qui
favorise le vasospasme lors de l’exposition au froid.
Au cours des
phénomènes de Raynaud primitifs, les vaisseaux sont en revanche
de morphologie normale. Une augmentation du tonus vasomoteur
rendrait alors compte de l’acrosyndrome.
Elle pourrait s’expliquer
par une hyperactivité du système sympathique ou par des
mécanismes locaux faisant intervenir les récepteurs vasculaires et
les médiateurs.
L’hyperactivité du système sympathique répond à la conception
initiale de Raynaud.
Lewis, pour sa part, devait proposer une autre
hypothèse, celle d’une anomalie locale située au niveau des
vaisseaux de la main.
Ces mécanismes locaux pourraient
correspondre, soit à une anomalie des récepteurs vasculaires
responsables d’une vasoconstriction exagérée, soit à l’intervention
de médiateurs circulants interagissant avec le muscle vasculaire
lisse.
De très nombreuses théories ont été suggérées pour expliquer la
pathogénie des phénomènes de Raynaud.
Les plus récentes font
intervenir des facteurs vasoactifs.
C’est le cas de puissants peptides
vasodilatateurs comme le CGRP (calcitonine gene related peptide) ou
vasoconstricteurs comme l’endothéline-1 (ET-1).
Le développement
d’antagonistes puissants et spécifiques des récepteurs à l’ET-1
devrait permettre une évaluation précise du rôle physiopathologique
de l’ET-1 et pourrait représenter une thérapeutique potentielle du vasospasme et des altérations hémodynamiques rencontrées au
cours de certaines connectivites.
B - ASPECTS CLINIQUES ET DIAGNOSTIC POSITIF
:
Le diagnostic d’un phénomène de Raynaud est exclusivement
clinique.
Il est fondé sur la décoloration des doigts provoquée
par le froid, conférant à ce phénomène intermittent les caractères
d’une crise vasomotrice.
La notion de froid est importante
mais relative et variable d’un sujet à l’autre.
Le rôle des émotions
peut aussi être déterminant dans le déclenchement du trouble
vasomoteur.
La localisation du phénomène aux orteils, au nez, aux
oreilles, aux lèvres ou à la langue est possible, mais beaucoup moins
fréquente.
D’autres topographies plus exceptionnelles ont été
décrites : aux seins, surtout chez des femmes qui allaitent, ou à la
verge avec troubles de l’érection.
Les phases d’asphyxie (cyanose) et
d’hyperhémie (rougeur) qui suivent classiquement la phase
syncopale (blanche) sont inconstantes et non indispensables au
diagnostic.
L’association au phénomène de Raynaud d’un syndrome
du canal carpien n’est pas exceptionnelle et peut modifier
l’expression clinique de l’acrosyndrome du fait de l’existence
d’acroparesthésies nocturnes qui viennent s’ajouter aux crises
vasomotrices.
Le diagnostic de phénomène de Raynaud n’est réellement difficile
qu’en trois circonstances :
– d’abord, l’impossibilité de recueillir par l’interrogatoire des
données suffisamment précises pour affirmer la survenue d’une
décoloration des doigts provoquée par le froid ; la reconnaissance
de l’acrosyndrome est alors d’autant plus difficile que les tests de
provocation ont, en pratique, peu d’intérêt diagnostique ; il est, en
effet, difficile de reproduire une crise, par exemple lors de
l’immersion des mains dans l’eau froide, car un refroidissement trop
important détermine une vasodilatation capillaire ; pour faciliter le
diagnostic, la présentation aux patients d’une échelle de couleurs a
été proposée, ainsi que des tests au froid dont la fiabilité est variable
selon la méthode utilisée et dont l’utilité est surtout appréciable dans
l’évaluation objective de l’efficacité des traitements médicamenteux ;
– ensuite, la forme cyanique pure, réalisant des accès de cyanose
digitale évoluant sur un mode paroxystique sans phase syncopale ;
cette variété s’observe plus volontiers chez des sujets âgés ou
souffrant d’un phénomène de Raynaud depuis de longues années ;
– enfin, l’association du phénomène de Raynaud à une acrocyanose,
qui est fréquente et ajoute aux crises vasomotrices une cyanose
permanente des extrémités ; elle témoigne généralement d’une microangiopathie purement fonctionnelle et l’enquête étiologique est
dans cette éventualité très souvent négative.
C - ENQUÊTE ÉTIOLOGIQUE :
La nécessité d’une exploration étiologique est l’une des
caractéristiques majeures des phénomènes de Raynaud, bien que les
Raynaud primaires soient approximativement dix fois plus fréquents
que les Raynaud secondaires.
1- Principales causes
:
Les causes des phénomènes de Raynaud sont variées mais
très inégalement réparties.
Explorer un phénomène de Raynaud doit
permettre d’assurer précocement le diagnostic d’une connectivite et
de rechercher des maladies chirurgicalement curables, beaucoup
plus rares, mais dont la méconnaissance pourrait conduire à une
aggravation irréversible des lésions vasculaires digitales.
La sclérodermie généralisée demeure l’affection le plus souvent
redoutée en cas de phénomène de Raynaud bilatéral et sans doute
la première cause de phénomène de Raynaud secondaire.
Beaucoup
plus rares sont les sclérodermies après prothèses mammaires en
silicone.
Les artériopathies digitales sont plus rares.
Elles sont surtout
observées chez les hommes.
Elles doivent également être reconnues
car leur aggravation est largement influencée par la poursuite de
l’intoxication tabagique dont l’arrêt est impératif.
Au cours de la
maladie de Buerger, le phénomène de Raynaud est l’un des signes
cardinaux ; cette affection est d’autant plus facilement diagnostiquée
qu’il existe chez un sujet jeune fumeur, outre un acrosyndrome
sévère souvent compliqué de nécroses digitales, des thromboses
veineuses superficielles et une artériopathie distale des membres
inférieurs.
La nécessité d’une exploration est encore plus nette lorsque le
phénomène de Raynaud est strictement unilatéral car il est alors
pratiquement toujours secondaire.
Le métier du patient est parfois
en cause et la reconnaissance du diagnostic impose un reclassement
professionnel.
Certaines activités sportives telles que le karaté, le
volley-ball ou le motocross peuvent également être responsables de
lésions traumatiques de cette nature.
L’occlusion des artères digitales
peut aussi être la conséquence de la migration thromboathéromateuse en distalité à partir d’une lésion
athéroscléreuse de l’artère sous-clavière.
Quant aux tumeurs glomiques, elles sont souvent localisées à la dernière phalange d’un
doigt.
Elles sont à l’origine de très vives douleurs au moindre
effleurement, souvent associées à un phénomène de Raynaud
localisé à un seul doigt.
Ces caractères sémiologiques très
particuliers permettent d’évoquer le diagnostic.
Une artériographie
est utile pour localiser la tumeur dont l’exérèse guérit les
symptômes.
L’enquête étiologique d’un phénomène de Raynaud doit être
applicable à un grand nombre de patients, c’est-à-dire simple, non
invasive, peu coûteuse et réalisable en dehors de structures très
spécialisées.
Il est également nécessaire qu’elle soit adaptée au
dépistage des causes les plus fréquentes et en particulier au
diagnostic précoce de la sclérodermie généralisée qui reste l’arrièrepensée
le plus souvent redoutée.
Enfin, l’enquête étiologique doit
être capable de distinguer d’emblée les phénomènes de Raynaud
primaires qui justifient tout au plus un traitement symptomatique
et les phénomènes de Raynaud secondaires ou suspects de l’être ou
de le devenir, qui peuvent en revanche mériter un complément
d’investigation.
2- En cas de phénomène de Raynaud bilatéral :
L’examen clinique, conjugué à la capillaroscopie, paraît suffisant en
première analyse.
L’interrogatoire et l’examen physique servent de base à l’enquête
étiologique.
Le phénomène de Raynaud primaire est toujours
bilatéral alors qu’un trouble vasomoteur unilatéral oriente au
contraire vers un phénomène de Raynaud secondaire à une cause
locorégionale.
La présence de phénomènes de Raynaud dans la
famille est un indice important en faveur d’une simple maladie de
Raynaud.
Un phénomène de Raynaud d’apparition tardive plaide
en faveur de l’existence d’une cause.
Inversement, un long recul
évolutif, supérieur à 10 ans, sans anomalies cliniques associées,
oriente vers une maladie de Raynaud.
L’interrogatoire permet
également de rechercher un phénomène de Raynaud
médicamenteux ou professionnel.
L’examen s’attache tout
particulièrement à la recherche d’anomalies, si discrètes soient-elles,
qui pourraient orienter vers une sclérodermie.
Une infiltration
cutanée, des télangiectasies de la main mais aussi du visage ou des
lèvres, la cicatrice de petits troubles trophiques pulpaires sont autant
de signes qui plaident en faveur d’une sclérodermie éventuellement
dans une forme limitée et peu évolutive : le syndrome Crest.
Ce
dernier associe au phénomène de Raynaud (r), une calcinose souscutanée
(C), une atteinte oesophagienne (e), une sclérodactylie (s) et
des télangiectasies (t).
La capillaroscopie mérite de faire partie de l’enquête étiologique de
tout phénomène de Raynaud puisque les anomalies qu’elle peut
mettre en évidence sont précoces et de bonne valeur diagnostique
dans la sclérodermie.
La présence de mégacapillaires est
caractéristique d’une connectivite.
Une capillaroscopie
normale exclut pratiquement une sclérodermie et apporte un
argument important en faveur d’un phénomène de Raynaud
primaire.
En cas de suspicion de sclérodermie, d’autres examens simples sont
utiles.
La radiographie des mains recherche deux anomalies
pratiquement caractéristiques d’une sclérodermie : une calcinose
sous-cutanée et une résorption des houppes phalangiennes
ou acro-ostéolyse.
La radiographie thoracique peut identifier, à la
suite de l’auscultation pulmonaire, une fibrose des bases qui appartient, avec la sclérose cutanée et les cicatrices rétractées de
troubles trophiques pulpaires, aux critères retenus pour le diagnostic
de sclérodermie.
La présence d’anticorps antinucléaires oriente
d’emblée, lorsque le taux est élevé, vers une affection dysimmunitaire ; cette recherche peut être affinée par la recherche
d’anticorps plus spécifiques comme les anticorps anticentromère
assez caractéristiques du syndrome Crest ou les anticorps anti-Scl 70 plus spécifiques au contraire des formes extensives.
La mesure
de la vitesse de sédimentation est également proposée par certains.
3- En cas de phénomène de Raynaud
strictement unilatéral
:
Dans cette éventualité beaucoup plus rare, le trouble vasomoteur
est toujours secondaire.
L’exploration n’a plus pour vocation
d’opposer « Raynaud primaires » et « Raynaud secondaires » mais
de déterminer la maladie responsable.
L’examen clinique en position
statique peut être normal.
Il recherche l’abolition d’un pouls radial,
une amyotrophie de l’éminence thénar ou une lésion cutanée.
La
palpation peut détecter dans le creux sus-claviculaire une côte
cervicale, voire une tuméfaction battante, expansive ou trop bien
perçue.
Des manoeuvres dynamiques cherchent à reproduire la
compression vasculaire dans différentes positions du bras ; c’est le
cas de la manoeuvre d’Adson qui combine inspiration forcée,
extension du rachis cervical et rotation de la tête du côté examiné.
Des examens complémentaires sont aussi nécessaires.
Un cliché
simple recherche une côte cervicale.
Une échographie artérielle
couplée à un doppler peut visualiser une lésion athéroscléreuse
axillo-sous-clavière susceptible d’avoir émis une embolie distale.
Le
résultat de l’échographie-doppler conditionne l’indication d’une
artériographie du membre supérieur, indispensable chaque fois
qu’une lésion chirurgicalement curable est suspectée.
Le diagnostic
d’artériopathie digitale est toutefois possible sans avoir recours à
l’artériographie grâce à la mesure de la pression systolique digitale
en pléthysmographie, l’artériographie étant alors réservée à la
recherche d’une cause.
D’autres méthodes d’explorations
fonctionnelles non invasives ont été proposées pour faciliter la
distinction entre phénomènes de Raynaud primaires et secondaires.
C’est le cas du laser-doppler qui s’applique toutefois mieux à la
compréhension des mécanismes pathogéniques qu’à l’enquête
étiologique des phénomènes de Raynaud.
Enfin, il arrive, dans 10 à 15 % des cas environ, qu’aucune cause ne
soit retrouvée à un phénomène de Raynaud qui ne remplit pourtant
pas les classiques critères d’Allen et Brown pour le diagnostic de
maladie de Raynaud :
– épisodes déclenchés par le froid ou l’émotion ;
– bilatéralité du phénomène ;
– pouls radial et pouls cubital normaux ;
– absence de gangrène digitale ;
– bilan étiologique négatif ;
– recul évolutif suffisant (plus de 2 ans).
Ces phénomènes de Raynaud sont regroupés sous le nom de
« Raynaud suspects d’être secondaires ».
Eux seuls justifient, au
sein des phénomènes de Raynaud sans cause, une surveillance
clinique annuelle ou semestrielle.
D’autres auteurs préfèrent au
contraire classer dans le groupe des phénomènes de Raynaud
secondaires à une connectivite « indifférenciée » ou incomplète les acrosyndromes associés à des anomalies capillaroscopiques ou
immunologiques insuffisantes toutefois pour affirmer le diagnostic
d’une connectivite précise.
4- Chez l’enfant
:
Le phénomène de Raynaud est primaire ou plus souvent secondaire
et les causes les plus fréquentes sont, comme chez l’adulte, les
connectivites.
L’enquête étiologique reste donc dominée par la
recherche d’anticorps antinucléaires et d’anomalies capillaroscopiques.
5- Chez les femmes enceintes :
En cas de phénomène de Raynaud primaire, le taux de prématurité
pourrait être plus élevé lorsque le phénomène de Raynaud est
apparu avant la grossesse et non l’inverse.
D - TRAITEMENT :
Le traitement des phénomènes de Raynaud dépend de la gêne
engendrée plus encore que de la cause du trouble vasomoteur.
En l’absence de gêne fonctionnelle ou en cas de phénomène de
Raynaud peu gênant, n’apparaissant que durant la mauvaise saison,
sans retentissement professionnel, les mesures non médicamenteuses
résument le traitement : protection contre le froid non seulement des
extrémités mais aussi de l’ensemble du corps ; protection contre les
traumatismes locaux ; contre-indication de certains médicaments
propres à aggraver l’acrosyndrome tels que les dérivés de l’ergot de
seigle et les bêtabloquants.
La contraception oestroprogestative,
quoique classiquement citée comme cause possible de phénomène
de Raynaud, n’est pas contre-indiquée.
En cas de gêne fonctionnelle plus importante, un traitement
médicamenteux mérite d’être associé aux conseils d’hygiène de
vie.
Certains médicaments vasoactifs utilisés dans le traitement
symptomatique de la claudication intermittente des artériopathies
des membres inférieurs ont également l’indication : « amélioration
du phénomène de Raynaud ».
Ils peuvent être essayés en première
intention dans la mesure où ils sont simples d’utilisation et
généralement bien tolérés. Leur efficacité est toutefois inconstante.
Les inhibiteurs calciques, en revanche, représentent un réel progrès
dans le traitement des phénomènes de Raynaud et leur efficacité a
été confirmée par des études menées en double insu contre
placebo.
Il peut s’agir de la nifédipine (Adalatet 10 mg ou
Adalatet 20 mg LP), du diltiazem (Tildiemt ou Tildiem retard
300 mgt), également utilisé pour traiter la calcinose des syndromes
Crest, ou de la nicardipine (Loxent 20 mg ou Loxent 50 mg LP).
La félodipine a aussi été testée en une seule prise par jour, ainsi que
l’amlodipine.
Ces médicaments sont prescrits en période froide
après avoir éliminé un bloc auriculoventriculaire et sous couvert
d’une contraception efficace en raison de la tératogénicité de certains
de ces médicaments chez l’animal.
Les effets secondaires sont peu
graves (céphalées, flush du visage, oedème des chevilles) mais
fréquents et limitent l’utilisation de ces médicaments, surtout chez
les patients souffrant de migraines, la prévalence de ces dernières
étant élevée en cas de phénomène de Raynaud primaire.
La
trinitrine percutanée a été utilisée, sous forme de pommade dosée à
2 % sur les pulpes digitales, deux ou trois fois par jour et lors des
accès avec un risque d’effets secondaires (céphalées, vertiges) liés au
passage systémique de la molécule.
Des patches transdermiques ont
également été proposés avec les mêmes effets secondaires.
La prazosine (Minipresst) peut être employée mais à doses faibles et
progressivement croissantes pour éviter des effets secondaires
(vertiges, hypotension).
Seuls l’Adalatet 10 mg et le Minipresst
avaient en 1999 l’indication : « traitement symptomatique des
phénomènes de Raynaud ».
Lorsque le phénomène de Raynaud est très sévère, volontiers
secondaire à une maladie polysystémique et notamment à une
sclérodermie, a fortiori s’il est compliqué de troubles trophiques, les
prostaglandines actives par voie parentérale peuvent trouver une
indication.
C’est le cas de l’iloprost (Ilomédinet), analogue de la
prostacycline actuellement proposé dans les formes les plus sévères
de maladie de Buerger ou d’artérite athéroscléreuse compliquées de
troubles trophiques sans possibilité de revascularisation
radiologique ou chirurgicale.
L’utilisation par voie orale des
analogues de la prostacycline tels que le beraprost ou le cicaprost
ouvre des perspectives intéressantes.
Les perfusions de CGRP
auraient des effets équivalents mais plus durables que ceux de la
prostacycline.
Les phénomènes de Raynaud secondaires peuvent mériter un
traitement spécifique : suppression du médicament responsable en
cas de pathologie iatrogène ; traitement de fond des connectivites ;
arrêt de l’intoxication tabagique au cours de la maladie de Buerger
associé à la correction des autres facteurs de risque en cas
d’artériopathie dégénérative ; reclassement professionnel en cas
d’utilisation d’engins vibrants.
Le traitement chirurgical n’a que des indications très limitées au
cours des phénomènes de Raynaud : exérèse d’une lésion axillosous-clavière emboligène (endartériectomie ou pontage) ; traitement
d’un anévrisme cubital ; résection de la première côte dans le
syndrome du défilé thoracobrachial dans les rares formes avec une
atteinte artérielle, à condition que la responsabilité de la compression
par la première côte soit démontrée dans le trouble vasomoteur.
La sympathectomie thoracique supérieure n’a plus que de très rares
indications telles que les phénomènes de Raynaud secondaires à une
artériopathie athéroscléreuse ou à une maladie de Buerger en cas
d’ischémie sévère compliquée de troubles trophiques.
En revanche,
la sympathectomie endoscopique transthoracique, qui ouvre des
perspectives intéressantes dans le traitement des hyperhidroses,
pourrait également trouver des indications dans les formes les plus
sévères de phénomène de Raynaud secondaire.
Acrocyanose :
A - ASPECTS CLINIQUES, DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
:
À l’échelon clinique, deux tableaux méritent d’être individualisés.
À
chacun d’eux correspond, en effet, une approche différente.
Ce sont
l’acrocyanose commune et l’acrocyanose associée au phénomène de
Raynaud.
1- Acrocyanose commune :
* Diagnostic :
Il est porté chez une adolescente ou une jeune femme dans 90 % des
cas.
La consultation se fait spontanément ou sur les conseils de
l’entourage familial ou professionnel en raison d’une teinte cyanique
des extrémités.
Cette coloration, variable du bleu foncé au rouge, est
uniforme, permanente, mais changeante dans son intensité.
Elle
intéresse les doigts et peut remonter jusqu’aux poignets ; elle atteint
souvent les pieds, parfois le nez et les oreilles.
Elle est majorée par
le froid ou les émotions et moins gênante durant la belle saison.
Elle
est indolore, du moins à la température ambiante.
Une histoire
familiale d’hypersensibilité au froid quelle qu’en soit l’expression
clinique (acrorhigose, engelures, phénomène de Raynaud,
acrocyanose) est fréquente.
L’apparition du trouble vasomoteur dès
l’enfance est possible.
Les doigts sont objectivement froids, parfois
un peu oedématiés, « matelassés » et le siège d’une transpiration
plus ou moins profuse (hyperhidrose).
La pression localisée crée sur
la peau une tache blanche qui se recolore progressivement.
La
cyanose diminue sans disparaître lors de l’élévation du membre.
L’examen artériel est normal.
Il n’y a jamais de sclérose cutanée, ni
d’ulcère pulpaire ou de gangrène digitale et les seuls troubles
trophiques parfois visibles sont de banales fissures, en hiver, en cas
d’activités manuelles.
* Formes cliniques :
Sans que sa signification s’en trouve modifiée, l’acrocyanose peut
apparaître mouchetée de taches plus claires en raison de
l’inhomogénéité de la circulation cutanée.
Elle peut aussi
s’associer à une cyanose des jambes (érythrocyanose sus-malléolaire)
ou à des marbrures des membres influencées par le froid ou la
déclivité (livedo reticularis).
Quant à l’individualisation sous le nom
d’acroïodèse d’une entité autonome regroupant une acrocyanose
et des manifestations fonctionnelles d’insuffisance veineuse des
membres inférieurs, sans autres anomalies objectives que quelques
varices, elle est nosologiquement discutable mais paraît pourtant
correspondre à une réalité clinique.
* Examens complémentaires
:
Aucun examen paraclinique n’est indispensable dans l’acrocyanose
commune et la bénignité de ce trouble vasomoteur interdit de
recourir à des explorations sanglantes.
La thermométrie permet tout
au plus de quantifier l’hypothermie cutanée.
Le doppler confirme la
perméabilité des artères digitales et perçoit un signal sonore pulpaire
aboli ou diminué.
La pléthysmographie couplée à un système de
réfrigération mesure la pression systolique digitale qui est comparée
à la pression humérale.
Le gradient de pression humérodigital à la
température ambiante ou au chaud n’est pas significativement
augmenté dans l’acrocyanose.
La pression systolique digitale
diminue après refroidissement.
La capillaroscopie permet de
visualiser directement la stase capillaroveinulaire mais aussi de
mesurer, comme la pléthysmographie, la pression systolique digitale
à l’aide d’un petit brassard pneumatique conçu pour cet usage et
placé à la racine du doigt.
Elle est utile pour étayer les hypothèses
pathogéniques ou tenter d’apprécier objectivement une éventuelle
amélioration sous traitement du trouble microcirculatoire mais son
intérêt diagnostique s’efface, dans l’acrocyanose, devant le seul
aspect des mains.
Le paysage capillaroscopique est toutefois
caractéristique.
Il associe : un nombre de boucles capillaires
normal ou augmenté ; une accentuation de la teinte de fond qui est sombre, violacée ; une dilatation capillaire prédominant sur la
branche veineuse, efférente, de l’anse ; une dilatation des plexus
veineux sous-papillaires.
Un ralentissement circulatoire (phénomène
de sludge) et des hémorragies péricapillaires sont également
fréquents.
Le degré de ces anomalies capillaroscopiques n’est pas
corrélé avec l’importance de la gêne fonctionnelle.
Ces images sont
faciles à distinguer de celles observées chez les sujets normaux ou
dans la maladie de Raynaud où l’aspect le plus évocateur est au
contraire l’association d’anses fines et d’un fond pâle.
* Traitement :
Le traitement de l’acrocyanose est très difficile et purement
symptomatique.
Aucun traitement médicamenteux n’a fait la preuve
de son efficacité dans ce trouble vasomoteur et l’utilité que l’on
peut espérer des thérapeutiques « vasoactives » s’inscrit
vraisemblablement dans les limites de l’effet placebo.
En revanche,
la protection contre le froid, non seulement des extrémités mais aussi
de l’ensemble du corps, est essentielle.
L’arrêt du tabac est une
mesure de prévention toujours utile sur laquelle la prise en charge
du trouble vasomoteur est l’occasion d’insister.
La contraception oestroprogestative n’est pas contre-indiquée.
L’activité physique et
sportive doit être encouragée.
Indépendamment de l’anorexie
mentale qui requiert une prise en charge qui lui est propre, les
mesures psychologiques ne doivent pas être négligées.
Elles
représentent le seul traitement lorsque le préjudice est purement
esthétique.
Il est utile de rassurer le patient et son entourage souvent
impressionnés par la cyanose des doigts lors de l’exposition au froid,
de souligner la bénignité du pronostic local et général (hormis le cas
particulier de l’anorexie mentale) et l’amélioration possible du
trouble vasomoteur au fil des ans.
En revanche, l’acrocyanose est
considérée comme prédisposant aux engelures, aux surinfections
mycosiques et aux retards de cicatrisation.
Lorsque l’hypersudation palmaire est majeure et représente
l’essentiel du handicap socioprofessionnel et psychologique, des
séances d’ionisation à l’eau, à raison d’une à deux par mois en
traitement d’entretien, peuvent être proposées.
C’est une méthode
simple et efficace qui permet presque toujours d’obtenir une
anhidrose mais qui est inactive sur la cyanose.
Elle mérite d’être
préférée à la sympathectomie thoracique, bien que les techniques
endoscopiques actuelles réduisent le caractère agressif de cette
chirurgie.
2- Acrocyanose associée au phénomène de Raynaud :
L’association d’une acrocyanose et d’un phénomène de Raynaud est
une éventualité fréquente ; elle peut modifier la démarche
diagnostique et justifier le recours à des thérapeutiques
médicamenteuses vis-à-vis des crises vasomotrices.
Si parfois
l’apparition des deux acrosyndromes coïncide dans le temps,
souvent l’acrocyanose précède le phénomène de Raynaud et c’est le
développement des accès de pâleur au froid qui motive l’examen.
La reconnaissance du caractère purement fonctionnel de cette microangiopathie intriquée est généralement suggérée par le
contexte clinique : apparition dès le jeune âge, absence de troubles
trophiques, symétrie de l’atteinte, perception de tous les pouls,
notion d’acrosyndrome familial.
Inversement, le début de
l’acrosyndrome à un âge avancé, les modifications de la peau,
l’existence actuelle ou passée d’ulcérations pulpaires, l’asymétrie des
troubles, les anomalies de l’examen artériel, orientent d’emblée vers
une sclérodermie (chez une femme) ou une artérite digitale (chez un
homme fumeur), parvenus au stade de cyanose permanente.
L’enquête étiologique devient alors celle d’un phénomène de
Raynaud secondaire.
À l’étape capillaroscopique, en revanche,
l’acrocyanose peut poser un problème diagnostique difficile avec la
sclérodermie systémique lorsqu’il existe des hémorragies
nombreuses, un oedème péricapillaire important et des dilatations
capillaires très marquées pouvant en imposer pour des
mégacapillaires de sclérodermie.
Toutefois, quelques nuances
permettent de distinguer le mégacapillaire de la sclérodermie et le
capillaire dilaté de l’acrocyanose.
En faveur de la sclérodermie
plaident : la réduction associée du nombre des anses, la répartition
inhomogène des capillaires, le caractère anévrismal du sommet de
l’anse et la diminution de la longueur des capillaires.
Si le doute
persiste, l’enquête étiologique doit se poursuivre.
D’un point de vue thérapeutique, si les crises vasomotrices associées
à l’acrocyanose sont intenses et fréquentes, un traitement
médicamenteux peut être associé aux conseils hygiénodiététiques et
aux mesures de soutien psychologique mais ils sont sans intérêt sur
la seule cyanose.
Peuvent être utilisés : les inhibiteurs calciques ; la
trinitrine percutanée en pommade ; la prazosine, mais à doses faibles
et progressivement croissantes pour éviter les effets secondaires.
B - PHYSIOPATHOLOGIE :
L’acrocyanose est une maladie de la microcirculation.
La stase capillaroveinulaire est visible in vitro au lit unguéal.
Le courant
sanguin est ralenti. La stase est attribuée à une ouverture
exagérée et permanente des anastomoses artérioveineuses avec mise
hors circuit du lit capillaire.
Elle explique la cyanose mais son
mécanisme précis demeure inconnu.
Anatomiquement,
l’hypertrophie minime de la média des artérioles observée sur des
biopsies de peau ne peut être tenue pour déterminante.
L’effet
souvent spectaculaire mais transitoire de la sympathectomie a fait
évoquer l’intervention du système sympathique par le biais d’un
spasme artériolaire permanent mais celui-ci ne saurait suffire à
expliquer la totalité des caractéristiques de cet acrosyndrome.
Le rôle des récepteurs à l’histamine a été suggéré par la description
de cas d’acrocyanose secondaires à l’administration pour énurésie
d’imipramine chez des enfants, ce médicament ayant des propriétés
antihistaminiques.
Malgré la réelle fréquence de l’acrocyanose au cours de l’anorexie
mentale ou tout simplement chez les femmes jeunes rapportant un
passé de variations pondérales rapides et importantes, aucune
anomalie biologique n’a été formellement reconnue permettant
d’attribuer ce trouble vasomoteur à un dysfonctionnement
endocrinien.
Quant à l’influence des troubles psychoaffectifs
dans le déterminisme de la maladie, elle doit sans doute beaucoup
au diagnostic d’hystérie porté chez les deux patients qui servirent à
la description initiale de Crocq et à l’origine des premières séries
de malades étudiés qui étaient issus d’établissements psychiatriques.
En réalité, le profil psychologique que l’on décrit dans l’acrocyanose
(introversion, timidité, immaturité, angoisse) n’est ni constant, ni
spécifique et peut n’être que réactionnel aux difficultés d’une
adolescente ou d’une femme jeune à s’accommoder d’une coloration
disgracieuse des extrémités ou d’une hypersudation déplaisante
dans la vie socioprofessionnelle.
C - DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :
L’acrocyanose est, par définition, primitive, bilatérale et limitée aux
extrémités.
Son diagnostic suppose donc d’éliminer toutes les formes
de cyanose ne répondant pas à ces critères : une acrocyanose
d’apparition tardive et compliquée de troubles trophiques pulpaires
ou d’autres signes de vascularite (acrocyanose « suspecte ») doit
faire rechercher une pathologie systémique sous-jacente, une
sclérodermie, une maladie des agglutinines froides ; une
cyanose généralisée est aisément reconnue, elle déborde largement
les extrémités et atteint les autres territoires, les lèvres notamment.
Le diagnostic est ici celui d’une cardiopathie, d’une insuffisance
respiratoire ou d’une polyglobulie.
Une acrocyanose unilatérale
limitée à un seul membre supérieur est rare.
Elle peut n’être que
l’une des composantes d’une angiodysplasie plus ou moins
complexe facilement évoquée d’après les anomalies vasculaires
associées.
Ailleurs, c’est une algodystrophie de la main qui est
responsable d’une peau froide et cyanique.
La douleur qui domine
ici le tableau, l’éventuel antécédent traumatique, les anomalies
radiologiques de la trame osseuse et l’hyperfixation en scintigraphie
permettent le diagnostic.
Ailleurs encore, l’association de
l’acrocyanose à un oedème dur, froid, indolore, nettement limité,
d’évolution capricieuse, doit faire évoquer un oedème bleu.
Provoqué par une autoagression, l’oedème bleu de Charcot est
apparenté aux pathologies simulées (syndrome de
Münchhausen).
L’autoagression correspond le plus souvent à la
pose de garrots, parfois à des microtraumatismes locaux.
Il s’observe
dans des contextes psychiatriques très variés : hystérie,
schizophrénie, personnalité limite.
Seule la découverte du
mécanisme de l’autoagression (sillon de striction) apporte la preuve
formelle du diagnostic.
Érythermalgie :
A -
ASPECTS CLINIQUES ET PARACLINIQUES :
L’érythermalgie s’observe à tous les âges, y compris chez l’enfant.
Les douleurs sont à type de brûlures, atteignant de façon bilatérale
et symétrique les mains ou les pieds et évoluant par crises.
La
douleur peut revêtir d’autres caractères : sensations de lancement
ou de broiement, démangeaisons.
La localisation de la douleur aux
pieds est la plus fréquente, tantôt limitée à un ou plusieurs orteils
ou à la plante, tantôt intéressant la totalité du pied, beaucoup plus
rarement la jambe jusqu’au genou.
La durée de la crise est variable,
habituellement de plusieurs minutes à quelques heures.
L’intensité
de la douleur, parfois insoutenable, et la répétition des crises
peuvent créer chez certains patients une invalidité majeure et
retentir gravement sur leur psychisme.
Les crises sont déclenchées
ou aggravées par la marche, l’exercice et l’exposition à la chaleur.
Toutes les situations qui mettent les extrémités en déclivité et surtout
qui augmentent la chaleur locale (repos sous une couverture, port
de chaussures ou de gants, proximité d’une source de chaleur...)
peuvent déclencher une crise.
Les temps chauds, la fièvre, sont
également des facteurs favorisants.
La douleur est diminuée par
l’exposition au froid et, à un moindre degré, par l’élévation du
membre atteint.
Tout ce qui peut refroidir les extrémités est
recherché par les patients : repos hors des couvertures, marche pieds
nus sur un carrelage, ventilation et, dans les cas les plus sévères,
bains d’eau glacée ou friction avec des glaçons.
Les territoires
atteints sont modifiés durant la crise : ils sont rouge vermillon,
brûlants, parfois oedématiés.
La résistance de l’érythermalgie au
traitement figurait initialement au rang des critères diagnostiques.
En réalité, l’efficacité d’une dose unique d’aspirine qui peut faire
disparaître les symptômes durant plusieurs jours mérite d’être
utilisée comme test diagnostique sans pour autant que l’échec de ce
médicament ne permette formellement d’éliminer cette affection.
L’érythermalgie est habituellement un diagnostic d’interrogatoire car
il est rare d’assister à la crise.
L’examen élimine une artériopathie
(tous les pouls sont perçus) et une neuropathie.
Des troubles
trophiques pulpaires ou des gangrènes distales n’ont été rapportés
avec une certaine fréquence qu’en cas d’érythermalgie secondaire à
un syndrome myéloprolifératif.
Un terrain vasculaire associé n’est
toutefois pas exceptionnel et notamment une acrocyanose en cas
d’érythermalgie primitive.
Les tests de provocation font appel au réchauffement du membre
atteint par ventilation d’air chaud plus efficace que l’immersion des
extrémités dans l’eau chaude. L’utilisation d’une chambre thermique
a surtout un intérêt physiopathologique.
La mesure de la
température cutanée permet de définir, pour chaque patient, une
température critique pour laquelle le symptôme apparaît.
Ce « point
critique » se situe généralement entre 32 °C et 36 °C.
La stase
veineuse provoquée par le gonflement d’un brassard à tension placé
autour du membre atteint peut favoriser l’apparition des crises.
Les examens complémentaires visent essentiellement à préciser la
cause de l’acrosyndrome (hémogramme, vitesse de sédimentation,
masse sanguine, biopsie médullaire à la recherche d’un syndrome
myéloprolifératif).
Sinon, ils sont surtout utilisés pour étudier la
pathogénie du trouble vasomoteur ou suivre son évolution sous
traitement.
La thermographie permet de quantifier et de délimiter
l’élévation locale de la température cutanée.
Elle peut être utile pour
apprécier objectivement l’efficacité des traitements.
La pléthysmographie permet la mesure de la pression systolique
digitale, normale du moins en cas d’érythermalgie primitive.
En
dehors des crises, la capillaroscopie est normale dans environ la
moitié des cas ou montre des anomalies modérées et non spécifiques
témoignant généralement du terrain vasculaire associé.
Pendant
la crise, il existe une dilatation des anses capillaires et une
accentuation de la teinte de fond.
Des images de stase capillaire et
un ralentissement du flux sanguin qui prend un aspect granulaire
(phénomène de sludge) peuvent s’observer lorsque l’érythermalgie
est secondaire à une polyglobulie.
B - ASPECTS ÉTIOLOGIQUES :
1- Érythermalgie primitive :
Elle atteint deux fois plus souvent l’homme que la femme
et s’observe chez des sujets jeunes, parfois des
enfants.
Elle réalise la forme la plus pure de la maladie.
La symptomatologie clinique est intense et la
topographie bilatérale et symétrique dans plus de 90 %
des cas.
L’atteinte exclusive des membres supérieurs est
exceptionnelle (5 % des cas).
Lorsque les crises sont fréquentes, voire subintrantes,
le handicap psychologique et socioprofessionnel est
majeur.
L’échec des traitements médicamenteux et les agressions
locales itératives pour tenter de calmer la douleur
peuvent être à l’origine de troubles trophiques sérieux
servant de porte d’entrée à des complications
infectieuses.
Des formes familiales ont été rapportées ; elles
apparaissent exceptionnelles.
La transmission se ferait sur le mode dominant.
2- Érythermalgie secondaire
:
Elles sont plus fréquentes que les formes primitives.
Elles partagent
les caractères séméiologiques de ces dernières à quelques nuances
près : début plus tardif, volontiers après 40 ans, pas de
prédominance nette de sexe, intensité moindre des troubles, formes
incomplètes plus fréquentes, qu’elles soient unilatérales ou du moins
asymétriques, dans environ 50 % des cas.
* Syndromes myéloprolifératifs :
Ils sont la cause la plus fréquente des érythermalgies secondaires.
Dans ces affections, la prévalence de l’érythermalgie est très
diversement appréciée, entre 3 et 65 % des cas selon les séries.
Il
s’agit de polyglobulie primitive ou de thrombocytémie essentielle,
exceptionnellement de métaplasie myéloïde ou de leucémie
myéloïde chronique.
L’hémogramme avec numération des
plaquettes et la vitesse de sédimentation (anormalement basse en
cas de polyglobulie) sont des examens simples justifiés devant toute érythermalgie.
De leurs résultats dépend l’indication de la mesure
de la masse sanguine et de la biopsie médullaire.
Dans environ 85 %
des cas, l’érythermalgie précède le syndrome myéloprolifératif.
Son évolution est parallèle à celle de la maladie
hématologique : le traitement de la polyglobulie ou de la thrombocytémie fait disparaître les symptômes ; la réapparition de
l’acrosyndrome annonce la rechute hématologique.
* Érythermalgie d’origine médicamenteuse
:
Quelques cas ont été rapportés.
Ils sont rares mais chaque fois l’arrêt
du médicament a permis la disparition des symptômes.
Les drogues
incriminées sont des inhibiteurs calciques (nifédipine, nicardipine)
utilisés dans le traitement de l’insuffisance coronarienne ou de
l’hypertension artérielle, la bromocriptine dans le traitement
de syndromes parkinsoniens et certaines chimiothérapies
anticancéreuses (fluorouracil et doxorubicine notamment).
* Lupus systémique :
Seuls Alarcon-Segovia et al ont rapporté une série de cinq lupus
systémiques avec érythermalgie : il s’agissait de lupus
multisymptomatiques où l’érythermalgie évoluait parallèlement à la
maladie lupique.
* Autres étiologies
:
Les autres affections classiquement citées comme cause
d’érythermalgie (insuffisance veineuse, hypertension artérielle,
diabète) ont valeur d’association fortuite plus que de déterminants
pathogéniques et leur découverte ne saurait faire clore l’enquête
étiologique de l’acrosyndrome.
C - PHYSIOPATHOLOGIE :
Les hypothèses pathogéniques formulées à propos des érythermalgies sont nombreuses mais aucune d’entre elles ne permet
d’expliquer à la fois les diverses composantes séméiologiques de
l’acrosyndrome et son évolution sur un mode paroxystique.
Quelques observations isolées ont fait évoquer le rôle pathogénique
des complexes immuns circulants (érythermalgie au cours du lupus
systémique), une anomalie de l’innervation (un cas
d’érythermalgie primitive apparue dans l’enfance) ou encore
l’action de la sérotonine.
Aucune démonstration formelle du bienfondé
de ces hypothèses n’a été ultérieurement apportée.
Une
origine virale a également été discutée à propos d’une « épidémie »
d’érythermalgies observée en Chine chez des enfants et attribuée à
des infections par des poxvirus.
Plus crédibles sont les hypothèses
qui font intervenir un trouble des prostaglandines et de l’agrégation
plaquettaire.
Ainsi s’expliquerait, en effet, l’efficacité thérapeutique
spectaculaire de l’aspirine qui, en inactivant la cyclo-oxygénase,
inhibe l’agrégation plaquettaire et la synthèse des prostaglandines.
Dès 1978, le rôle des prostaglandines était suggéré par la mise en
évidence, dans deux cas d’érythermalgie primitive, d’une sensibilité
accrue à l’injection intradermique de prostaglandines avec
augmentation de la synthèse cutanée de substance « prostaglandinelike
» ; en revanche, ni l’histamine, ni la sérotonine, ni la
bradikinine ne provoquent de réactions analogues.
L’étude
histologique des artérioles cutanées en cas d’érythermalgie
secondaire à une thrombocytémie a mis en évidence des lésions
artériolaires jugées caractéristiques sans anomalies des veinules, des
capillaires ni des nerfs.
Ces lésions associent une turgescence des
cellules endothéliales, une prolifération des cellules musculaires
lisses de la média avec rétrécissement de la lumière et une occlusion
fréquente des artérioles par des thrombi d’âges différents.
L’étude
des fonctions plaquettaires et de la synthèse des prostaglandines
chez ces mêmes patients a fait considérer les signes de
l’érythermalgie comme le résultat de l’agrégation et de l’activation
plaquettaire in vivo au niveau des artérioles.
Les prostaglandines et
les thromboxanes synthétisés par les plaquettes activées seraient
responsables des signes de l’inflammation et le facteur mitogène
(platelet-derived growth factor), libéré par les plaquettes activées, des
lésions artériolaires et de la prolifération des cellules musculaires
lisses.
Toutefois, ce schéma pathogénique ne peut être extrait du
contexte particulier des thrombocytémies et l’énigme des
érythermalgies primitives reste entière.
Dans ces dernières, en effet,
les artérioles peuvent être histologiquement normales et la mesure
transcutanée de la pression partielle d’oxygène au niveau des avantpieds
normale.
D - DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
:
Le diagnostic d’érythermalgie est réputé difficile d’autant qu’il est
généralement fondé sur l’interrogatoire.
En réalité, le recours à des
critères cliniques simples fondés sur la description initiale de
Mitchell et les travaux ultérieurs permettent un diagnostic
avec une bonne fiabilité.
Trois critères majeurs et quatre critères
mineurs sont individualisés.
Le diagnostic est retenu en
présence obligatoire des trois critères majeurs et d’au moins deux
critères mineurs. Ainsi sont éliminés les différents diagnostics
différentiels.
– L’acrocyanose est responsable de rougeurs des extrémités mais
elle est permanente et majorée par le froid.
– Le phénomène de Raynaud est un trouble vasomoteur
paroxystique mais s’oppose en tous points à l’érythermalgie.
– La maladie des paumes rouges de Lane est responsable, comme
l’érythermalgie, d’une coloration rouge vermillon des extrémités
mais celle-ci est permanente et atteint plus souvent les mains et les
pieds.
De plus, elle ne s’accompagne ni de douleurs, ni d’élévation
de la température locale.
– Les neuropathies périphériques, les acroparesthésies et en
particulier les acroparesthésies douloureuses nocturnes peuvent
engendrer une sensation de brûlure des extrémités mais l’absence
de rougeur et d’accentuation de la chaleur locale élimine facilement
une érythermalgie.
– Les troubles de la statique des pieds, les névromes plantaires, sont
à l’origine de douleurs provoquées par la marche mais la chaleur ne
joue aucun rôle dans le déclenchement des symptômes.
– Une érythrocyanose et des douleurs des extrémités des membres
inférieurs peuvent être symptomatiques d’une artériopathie mais la
température des téguments est ici diminuée et surtout, les pouls
distaux sont abolis.
– Une algodystrophie du pied peut s’accompagner, au début de
l’évolution de la maladie, de signes locaux inflammatoires mais elle
est généralement unilatérale et succède le plus souvent à un
traumatisme.
– Les symptômes de la maladie de Fabry peuvent en revanche
ressembler à ceux de l’érythermalgie et peuvent précéder
l’apparition des angiokératomes cutanés qui caractérisent cette
affection.
Le diagnostic de maladie de Fabry peut être confirmé
par la présence d’un déficit en alphagalactosidase A, tandis que
la mise en évidence d’une cornée verticillée par l’examen
ophtalmologique est déjà très évocatrice du diagnostic.
– Quant à l’acrocholose, c’est une simple sensation de chaleur
cutanée dans les extrémités surtout inférieures, bilatérale,
permanente ou paroxystique.
C’est une symptomatologie purement
subjective.
Elle a pu être considérée comme un syndrome préérythermalgique
mais des études ultérieures n’ont pas confirmé cette
notion.
E - TRAITEMENT :
Les érythermalgies secondaires sont redevables du traitement de la
cause : chimiothérapie ou injection de phosphore 32 en cas de
polyglobulie ou de thrombocytémie ; corticothérapie d’un lupus
systémique ; suppression du médicament jugé responsable des
troubles dans l’éventualité d’une érythermalgie iatrogène.
L’aspirine reste le traitement le plus simple et le plus efficace de
l’érythermalgie primitive.
Elle a un effet sédatif sur les accès.
De plus, une prise orale unique de 500 mg peut prévenir les
récidives durant plusieurs jours.
L’indométacine à la dose de 25 mg per os aurait le même effet mais durant un temps plus bref.
Les érythermalgies primitives résistant à l’aspirine sont
généralement très difficiles à traiter.
La liste des médicaments
inefficaces est longue, incluant des antiagrégants plaquettaires autres
que l’aspirine (dipyridamole, ticlopidine) ou des inhibiteurs de la thromboxane synthétase (dazoxiben).
Le propranolol (Avlocardylt)
est parfois efficace à la dose quotidienne de 40 à 120 mg.
Son
utilisation est fondée sur l’antonymie entre l’érythermalgie et le
phénomène de Raynaud et sur l’effet aggravant des bêtabloquants
sur ce dernier.
Les inhibiteurs de la sérotonine sont proposés depuis plus de 20 ans.
Le maléate de méthysergide (Désernil-Sandozt) est prescrit à la dose
de 2,2 à 6,6 mg/j mais le risque de fibrose rétropéritonéale en limite
l’utilisation et impose des cures discontinues.
La kétansérine a
été plus récemment utilisée mais sans succès.
La prophylaxie des situations à risque est toujours utile mais de
réalisation souvent difficile dans la vie courante.
Les méthodes de
réadaptation progressive au chaud sont plus lourdes à mettre en
oeuvre et supposent une parfaite coopération du patient.
Les
traitements sédatifs ne sont qu’un palliatif qui tente de compenser
le retentissement psychologique de l’acrosyndrome.
Engelures
:
Les engelures sont des lésions d’allure inflammatoire provoquées
par l’exposition au froid mais aussi à l’humidité.
Une protection
insuffisante vis-à-vis de ces facteurs climatiques apparaît comme une
cause majeure dans leur développement, expliquant sans doute le
paradoxe qui fait que les engelures sont moins fréquentes dans les
pays où les conditions climatiques sont particulièrement rudes mais
où les mesures de protection sont plus sérieuses et mieux
appliquées.
Les engelures sont fréquentes en France.
Une étude
menée au sein de la communauté urbaine de Lille, sur une cohorte
de 1 832 agents volontaires sains (513 femmes et 1 319 hommes) fait
état d’une fréquence de 1,56 % (2,53 % chez la femme, 0,51 % chez
l’homme).
Les engelures sont incluses dans le chapitre des acrosyndromes dans
la mesure où elles sont attribuées à un spasme artérioloveinulaire
de courte durée lié au froid, suivi d’une dilatation artériolaire avec
spasme veinulaire persistant lors du réchauffement.
Les lésions sont uniques ou multiples, érythémateuses,
s’accompagnant d’une sensation de cuisson et de prurit aggravée
par la chaleur.
Dans les cas les plus sévères, des phlyctènes, des
fissures douloureuses, voire des ulcérations peuvent apparaître.
Les
localisations les plus caractéristiques sont la face dorsale des
premières phalanges des doigts et surtout les orteils.
Les
talons sont également des localisations fréquentes.
L’atteinte du nez,
des oreilles ou des genoux est plus rare. Les engelures ont tendance
à récidiver durant la saison froide.
Elles surviendraient plus
volontiers sur un terrain d’hypersensibilité au froid tel qu’une acrorhigose ou une acrocyanose.
Elles guérissent spontanément en 1
à 3 semaines.
L’examen histologique montre un oedème du derme papillaire et un
infiltrat lymphocytaire périvasculaire de cellules mononucléées.
Le diagnostic d’engelure est simple devant les caractères des lésions,
leur tendance à la récidive dans les mêmes territoires, leur évolution
saisonnière, leurs circonstances d’installation, l’âge le plus souvent
jeune des patients et la normalité, par ailleurs, de l’examen clinique.
Devant un orteil douloureux, tuméfié, d’aspect inflammatoire, la
palpation de tous les pouls distaux élimine une artériopathie des
membres inférieurs.
Des embolies de cholestérol localisées aux
orteils peuvent être responsables d’un tableau comparable mais le
contexte clinique est habituellement bien différent puisque ces
embolies surviennent dans un contexte athéroscléreux, soit
spontanément, soit après un cathétérisme artériel.
Le traitement des engelures est avant tout préventif, fondé sur des
mesures strictes de protection des extrémités vis-à-vis du froid et de
l’humidité en évitant, notamment, le port de souliers trop serrés qui
sont une cause déclenchante habituelle.
La protection de la peau
exposée par une crème grasse est utile.
Les médicaments
susceptibles d’aggraver un spasme distal sont également évités, qu’il
s’agisse des bêtabloquants ou des vasoconstricteurs utilisés
notamment par voie nasale.
Dans une étude portant sur 111 cas
d’engelures, un facteur médicamenteux favorisant a en effet été
identifié dans 24 % des cas : vasoconstricteurs, bêtabloquants par
voie orale ou en collyre, dérivés de l’ergot de seigle chez les
migraineux.
Dans les formes les plus sévères, un traitement
inhibiteur calcique peut être proposé.
Une étude en double aveugle
utilisant la nifédipine (Adalatet) a montré en effet que ce
médicament était efficace dans les engelures récidivantes à la dose
de 20 mg trois fois par jour.
Dans cette étude, les engelures
guérissaient chez sept des dix patients sous nifédipine et aucun
d’entre eux ne développait de nouvelles lésions sous traitement.